Vers une évolution possible des critères légaux de la parahôtellerie
Stanislas Vailhen et Maxime Sniegula
Le Conseil d’Etat est saisi d’une demande d’avis relative à la conformité du régime de TVA de la parahôtellerie avec le droit de l’Union Européenne.
Il pourrait en résulter une extension du champ d’application de la TVA, et une simplification des critères retenus en droit français pour caractériser une activité de parahôtellerie obligatoirement assujettie à TVA.
Le régime de TVA français de la parahôtellerie est issu de la directive TVA (article 135 de la directive 2006/112/CE), qui impose aux Etats membres d’exonérer les locations de biens immobiliers, nus ou meublés, à l’exception des « opérations d’hébergement telles qu’elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire ».
Ces dispositions ont été transposées en droit français à l’article 261 D du Code général des impôts (CGI), dont le b du 4° prévoit que sont considérées comme des prestations parahôtelières les locations de logements meublés accompagnées d’au moins trois des quatre prestations mentionnées à cet article – à savoir la fourniture du petit-déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison ou la réception, même non personnalisée, de la clientèle – rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d’hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle (voir l’article que nous avons écrit pour Profession CGP en date du 11/05/2020).
Initialement ce texte exigeait que l’ensemble des quatre activités soient cumulativement exercées. Le Conseil d’Etat s’était toutefois rallié à la méthode prescrite par la CJCE et avait considéré dans la décision « Lejeune » (CE, 9e et 10e ss-sect., 11 juillet 2001, n°217675) que le caractère cumulatif de ces quatre prestations méconnaissait le droit communautaire. Tirant strictement les conséquences de cette décision, qui concernait un contribuable qui ne fournissait que trois des quatre prestations, le législateur avait modifié le texte afin de mettre en place le ratio de trois activités sur quatre tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Le Conseil d’Etat pourrait donc à nouveau être amené à remettre en cause les critères strictes prévus par le b du 4° de l’article 261 D du CGI, en privilégiant la situation globale de concurrence du prestataire avec des hôteliers professionnels sur une stricte application du ratio précité.
C’est en effet le caractère contraignant et exhaustif de ces critères légaux que soulevait le contribuable dans l’affaire pendante devant la Cour administrative d’appel de Douai, à l’origine de la saisine pour avis du Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat dispose d’un délai de 3 mois1, pour répondre aux questions suivantes :
- En subordonnant l’application de la TVA aux prestations de location à la réalisation d’au moins trois des quatre prestations ci-dessus rappelées, les dispositions de l’article 261 D 4° du CGI sont-elles compatibles avec les dispositions de la directive TVA ?
- Dans la négative, la fourniture de seulement une ou deux de ces prestations est-elle suffisante pour écarter l’exonération de la prestation de location ?
Dans un jugement rendu en 2022, le Tribunal administratif de Grenoble a déjà écarté l’application stricte du ratio des prestations de services exigé par le droit français, au profit d’une appréciation globale des circonstances de faits, afin de vérifier si les prestations d’hébergement offertes sont en concurrence potentielle avec les prestations hôtelières.
Le Tribunal a considéré que « la circonstance qu’un opérateur ne fournisse pas trois des quatre prestations mentionnées au b. du 4° de l’article 261 D ne permet pas d’écarter de manière certaine que les prestations d’hébergement temporaires qu’il réalise entrent en concurrence avec le secteur hôtelier. »,
et que
« en exigeant, pour fixer le champ de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, que les prestations de mise à disposition d’un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle comportent nécessairement un nombre prédéterminé de prestations de services accessoires qu’elles énumèrent, les dispositions précitées de l’article 261 D limitent excessivement le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée des opérations d’hébergement temporaire qui remplissent les fonctions essentielles d’une entreprise hôtelière et sont en concurrence potentielle avec ces dernières » (TA Grenoble, 7e ch. 14/10/2022, n°1908305).
Le tribunal de Grenoble a considéré que la fourniture de deux prestations est suffisante, mais qu’une seule prestation ne l’est en revanche pas, pour caractériser une activité de parahôtellerie assujettie à TVA.
Il sera intéressant de voir quelle voie choisit le Conseil d’Etat en remettant en cause ou non les critères stricts prévus par l’article 261 D du CGI.
Si cette évolution ne se fait pas sous l’impulsion du juge fiscal, elle pourrait en revanche venir du législateur français ou européen.
En effet, dans le cadre des débats sur le vote de la loi de finances pour 2023, le Sénat avait adopté, contre l’avis du Gouvernement, un article qui prévoyait de soumettre à la TVA toutes les locations de meublés de tourisme au sens du I de l’article L 324-1-1 du Code de tourisme, c’est-à-dire les locations à la journée, à la semaine ou au mois de villas, appartements ou studios meublés proposées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile.
Les sénateurs qui souhaitaient limiter la concurrence qu’imposent les plateformes de location aux activités traditionnelles d’hébergement, assujetties à TVA, avaient souligné « le caractère obsolète » du ratio de prestation fixé à l’article 261 D du CGI.
De même un projet de directive européenne « VAT in digital age » (ViDA), pourrait modifier significativement les conditions d’application de la TVA aux prestations d’hébergement parahôteliers. Ce projet prévoit en effet de redéfinir les prestations de parahôtellerie et de soumettre systématiquement à la TVA certaines prestations d’hébergement proposées par l’intermédiaire de plateformes numériques (tel que Airbnb, Abritel, Booking, etc.).
Le contexte général est donc propice à une extension du régime de la TVA parahôtelière, qui pourrait offrir des opportunités aux contribuables qui ne fournissent qu’une partie des prestations précédemment énumérées, et qui ont acquitté un montant important de TVA sur l’acquisition de leur bien ou dans le cadre de travaux, étant rappelé que ce régime offre bien d’autres avantages fiscaux, à condition d’en maitriser les conditions, et sous réserve de bien structurer cette activité.
Stanislas Vailhen, Associé et Maxime Sniegula, Collaborateur Senior
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[1] Sous réserve d’un sursis à statuer pour soumette une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne.