Traitement fiscal d’un apport à prix majoré
Stanislas Vailhen et Juliette Allot
Pour le Conseil d’Etat une valeur d’apport délibérément majorée ne traduit pas nécessairement un appauvrissement de la société bénéficiaire au profit de l’apporteur, qui serait alors taxable en tant que distribution occulte.
Le Conseil d’Etat a déjà jugé dans l’arrêt Cérès (CE, 9 mai 2018, n°387071, Sté Cérès) qu’un apport dont la valeur a été volontairement minorée dissimule une libéralité consentie par l’apporteur à la société bénéficiaire, permettant ainsi à l’administration fiscale de taxer cette dernière à hauteur de la différence entre la valeur vénale et la valeur d’apport des actifs apportés.
La question s’est alors posée de savoir si ce même raisonnement pouvait être transposé à l’apport à une société d’un actif pour une valeur majorée.
Dans un récent arrêt (CE, 20 octobre 2021, n°445685), le Conseil d’Etat se refuse à faire application de ce raisonnement et juge que « la seule circonstance qu’une société bénéficie d’un apport pour une valeur délibérément majorée ne saurait, par elle-même, traduire l’existence d’un appauvrissement de la société bénéficiaire de l’apport au profit de l’apporteur », de sorte que l’administration fiscale ne peut automatiquement imposer ce dernier à raison d’une distribution occulte sur le fondement de l’article 111 c. du CGI.
Dans cette affaire un contribuable a apporté à une société l’usufruit temporaire des parts d’une société pour une valeur fixée à environ 3 m€.
L’Administration a remis en cause cette valorisation, estimant que la valeur de l’usufruit temporaire était près de cinq fois inférieure. Elle a en conséquence considéré que la différence devait être regardée comme un avantage occulte imposable consenti par la société bénéficiaire de l’apport à l’apporteur.
La CAA de Lyon a confirmé le redressement. Le Conseil d’Etat censure cette décision et propose une approche économique des apports à prix majoré.
La lecture des conclusions du Rapporteur Public apporte un éclairage bienvenu à cette décision puisque ce dernier analyse les conséquences d’un apport à prix majoré pour chacune des parties.
Du côté de l’apporteur, l’enrichissement est ainsi inexistant dans le cas d’un apport réalisé à une société unipersonnelle puisque « les biens apportés se retrouvent à l’actif de la société bénéficiaire et l’apporteur ne reçoit en contrepartie que des titres lui ouvrant des droits qui par construction ne portent que sur ce dont la société bénéficiaire dispose ». Il n’en est en revanche pas de même lorsque la société bénéficiaire des apports a d’autres associés, puisque l’apport surévalué confère à l’apporteur une quote-part de droit sur l’actif social surévaluée et une dilution à due proportion des droits des autres associés.
Du côté de la société bénéficiaire, l’apport surévalué ne génère pas un appauvrissement en ce que cette remise de titres à l’apporteur ne lui coûte rien.
L’appauvrissement est alors plutôt à rechercher du côté des associés dilués qui s’ils ont délibérément ratifié l’acte d’apport pour une valeur majorée, peuvent avoir consenti une libéralité imposable comme une donation indirecte.
En l’espèce cette question ne trouvait pas à s’appliquer, puisque la société bénéficiaire ne comptait que deux associés mariés soumis à une imposition commune.
Cette décision écarte le risque de requalification d’un apport à prix majoré en distribution occulte. Néanmoins, il convient de rester vigilant car le Conseil d’Etat n’exclut pour autant pas le risque de requalification d’un apport à prix majoré en donation déguisée, ouvrant la voie à une imposition de l’écart entre la valeur réelle et la valeur comptable de l’actif aux droits de mutation à titre gratuit dont le taux peut atteindre 60% en cas de donation entre personnes non-parentes.
Nos équipes sont à votre disposition pour évoquer ces sujets, et vous accompagner dans la mise en place d’opérations d’apport d’actif.
Stanislas Vailhen, Associé et Juliette Allot, Collaboratrice