Shrinkflation : L’arrêté enfin publié
Catherine Robin
Les négociations commerciales 2024 ont été source d’intenses discussions. Parmi les sujets qui les ont phagocytées : la shrinkflation, cette pratique commerciale des industriels, pas au goût des distributeurs. Elle a été vivement critiquée, au point que le gouvernement a finalement publié un arrêté[1] pour l’encadrer, comme nous l’anticipions dans un précédent article[2]. L’application du texte va susciter de nouveaux conflits…
La shrinkflation, encore nommée réduflation, consiste en la réduction (masquée) de la quantité d’un produit, alors que son prix est maintenu ou augmenté. La traduction de cette pratique vis-à-vis du consommateur est relativement simple : celui-ci va payer un même produit à un prix plus élevé. Il ne faut pas s’y méprendre : cette pratique n’enfreint aucunement la loi. En effet, la quantité du produit et son prix étant à la vue du consommateur, celui-ci n’est guère trompé. De plus, l’industriel reste maître de son packaging. Autrement dit, la shrinkflation ne résulte que de la stratégie commerciale.
Cette pratique a été dénoncée durant les négociations commerciales par les grands distributeurs et par le gouvernement lui-même dans une vaste campagne de communication, tant dans les médias que dans les magasins eux-mêmes. Ces pratiques ont notamment donné lieu à des déréférencements notoires ainsi qu’à des actions en dénigrement intentées par les fournisseurs, parfois à juste titre, comme nous l’évoquions dans plusieurs articles[3].
Il ne faut toutefois pas s’y tromper :
- D’une part, cette pratique est loin d’être novatrice. Un exemple remontant à 1988 témoigne d’un paquet de café passé de 450 à 396 grammes pour un prix équivalent[4]. En France, le magazine 60 millions avait déjà dressé, en 2008 et en 2011, des listes de produits aux poids diminués, débutant l’article par une formule qui, elle, ne trompe pas : « Comment augmenter le prix au kilo, sans que cela se voie sur l’étiquette ? C’est simple, il n’y a qu’à modifier le poids du produit ! »[5].
- D’autre part, et contrairement à ce qui peut parfois être dit, les industriels ne sont pas les seuls concernés, loin de là. Depuis quelques temps déjà, les grands distributeurs produisent et vendent leurs propres « marque distributeur » (MDD). Rappelons qu’une MDD est tout « produit dont les caractéristiques ont été définies par l’entreprise ou le groupe d’entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu »[6]. On les connaît sous les noms de ECO+ chez Leclerc, ou encore Top Budget chez Intermarché, Bien vu chez Système U ou la marque Carrefour pour l’enseigne éponyme (et tant d’autres…). En d’autres termes, pour ces produits, le grand distributeur décide… Du poids et du prix de vente. Eux non plus n’échappent pas à la pratique de shrinkflation.
Cette situation tendue, persistante malgré la fin des négociations commerciales 2024[7], a conduit le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et la ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation à adopter, après avis de la Commission européenne, un arrêté ministériel le 16 avril 2024[8]. L’entrée en vigueur du dispositif est fixée au 1er juillet 2024.
Cet arrêté fait peser sur les distributeurs l’obligation d’informer le consommateur par la mention suivante : « Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y et son prix au (unité de mesure concernée) a augmenté de …% ou …€. ».
L’information devra être apposée, de façon lisible, à proximité ou sur les emballages des produits concernés :
- dans les magasins physiques dont la surface de vente est supérieure à 400 m² ;
- à prépondérance alimentaire (toutefois, cette précision du préambule de l’arrêté, ne figure pas dans le corps de l’arrêté) ;
- opérant dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation tels que définis à l’article L. 441-4 du code de commerce.
L’information concerne :
- les produits de grande consommation préemballés à quantité nominale constante (sont donc exclus les denrées vendues en vrac, ainsi que les produits dont la qualité varie à la préparation) ;
- les produits dont la quantité a été réduite et où le prix a augmenté lorsqu’il est rapporté à l’unité de mesure ;
- les produits de marque nationale[9] et les marques distributeurs.
L’arrêté étant pris en application de l’article L. 112-1 du code de la consommation, un distributeur qui n’exécuterait pas cette obligation encourt une amende administrative maximum de 3 000 euros pour une personne physique, et 5 000 euros pour une personne morale, ainsi que des injonctions prononcées par la DGCCRF et des mesures de publicité à ses frais[10], sans qu’on ne sache toutefois si le manquement doit s’apprécier à l’égard de chaque produit, de chaque référence ou encore du simple rayonnage.
Cette solution devrait toutefois être provisoire, puisqu’une prochaine révision des règles européennes quant à l’information du consommateur sur les denrées alimentaires en Europe doit intervenir en 2025. L’occasion, peut-être, d’ériger une législation unifiée englobant cette problématique.
Deux questions se posent encore :
- A la lecture à l’arrêté, seuls les « magasins physiques » sont concernés. Est-ce à dire que le e-commerce est épargné, alors même que plus d’un tiers des français réalisent leurs achats alimentaires en ligne ?[11] A priori oui, les drives et le e-commerce sont exclus du dispositif, sans que cela ne soit réellement expliqué.
- Parmi la multitude de références de produits, le distributeur risque de ne pouvoir identifier celles relevant d’une shrinkflation. Au titre de la bonne foi, le fournisseur serait-il contraint de lui transmettre cette information pour lui permettre de la répercuter ? En l’état, l’arrêté ne prévoit pas de mécanismes spécifiques de transmission de l’information.
Si la shrinkflation reste une pratique légale que le gouvernement n’entend pas interdire, une réelle défiance la concerne toujours. Désormais, le consommateur sera mieux informé, par le biais des distributeurs. Cette solution, si elle n’a pas le mérite de l’équité, reste la plus pragmatique et répond parfaitement à l’enjeu principal de ce débat : servir au mieux le consommateur. Cela passe par le choix de la transparence.
Catherine Robin, avocat associé, Lucas Desmaris, élève-avocat, Département Distribution, Concurrence du cabinet Alerion, Société d’Avocats.
[1] Arrêté du 16 avril 2024 relatif à l’information des consommateurs sur le prix des produits dont la quantité a diminué : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049502248
[2] « Dénigrement sur fond de négociations commerciales », https://www.alerionavocats.com/denigrement-sur-fond-de-negociations-commerciales/
[3] « Négociations commerciales : que penser des déréférencements et actions en dénigrement », https://www.lsa-conso.fr/negociations-commerciales-dereferencement-et-action-en-denigrement,454065 – supra « Dénigrement sur fond de négociations commerciales »
[4] John T. Gourville et Jonathan J. Koehler, « Downisizing price inseases : a greater sentivity to price than quantity in consumer markets », Social Science Research Network, 2004.
[5] https://www.60millions-mag.com/2008/09/23/ce-n-est-pas-plus-cher-mais-il-y-en-moins-7493
[6] Article R. 412-17 du code de la consommation
[7] En fonction du seuil de chiffre d’affaires : loi n°2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation
[8] JO du 4/05/2024
[9] Sans pour autant que le texte ne les définisse. Il faut donc se rapprocher des définitions communément admises par les usages en matière de commerce de distribution.
[10] Articles L. 131-5 et L. 521-1/2 du code de la consommation
[11] https://www.lsa-conso.fr/tous-les-chiffres-de-l-e-commerce-alimentaire-qui-marque-le-pas-debut-2023,438066