Le secteur pharmaceutique, dans le viseur des juridictions françaises
Catherine Robin et Johanna Guerrero
Deux pratiques commerciales du secteur pharmaceutique retiennent l’attention : la première illustre une stratégie commerciale conduisant à des sanctions pénales ; la seconde montre qu’une politique commerciale protégeant ses propres marques n’est pas forcément abusive ni répréhensible.
Manquement au dispositif « anti-cadeaux » :
Condamnation du groupe URGO à hauteur de 6,6 millions d’euros
Le groupe URGO est condamné pénalement à hauteur de 6,6 millions d’euros pour manquement au dispositif légal « anti-cadeaux »[1].
Dans le cadre de son pouvoir d’enquête, l’administration économique (DGCCRF) avait mis à jour des pratiques illégales du groupe Urgo, entre 2015 et 2021, sur l’ensemble du territoire national. L’industriel offrait des cadeaux aux pharmaciens en contrepartie de l’achat de produits à ses marques ou de la renonciation au bénéfice d’une remise contractuelle sur le prix d’achat, en infraction avec les dispositions du code de la santé publique. Cette stratégie commerciale avait permis au groupe Urgo d’augmenter ses bénéfices et ses parts de marché.
Outre la confiscation de plus de 5,4 millions d’euros ayant fait l’objet d’une saisie pénale, des amendes pour un montant global de 1,125 million d’euros ont été prononcées contre le groupe Urgo, dans le cadre d’une procédure de comparution de reconnaissance préalable de culpabilité[2].
La DGCCRF a évalué la fraude à 55 millions d’euros, étant précisé qu’elle poursuit son enquête auprès des pharmaciens impliqués.
Dans son communiqué de presse, la DGCCRF indique que « Le respect du dispositif « anti-cadeaux » et le bon fonctionnement des marchés de produits médicaux, dont dépendent l’efficacité sanitaire et économique du système de santé, constitue une priorité pour la DGCCRF, qui est pleinement mobilisée à cette fin ».
Rappel des principes essentiels :
La loi « anti-cadeaux » créée en 1993 (codifiée aujourd’hui aux articles 1453-3 et suivants du code de la santé publique) met en place un système anti-corruption qui vise à préserver l’indépendance des professionnels de santé. Cette loi encadre les avantages offerts aux professionnels de santé par les entreprises et interdit notamment :
- aux acteurs de santé de recevoir des avantages en espèce et en nature, sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, par des entreprises ;
- aux entreprises d’offrir ou de promettre des avantages en espèces ou en nature sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, à des acteurs de santé.
Elle pose un principe de co-responsabilité : des peines d’emprisonnement et des amendes sont encourues par le professionnel de santé et l’entreprise qui propose l’avantage. Des peines complémentaires comme l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer, la confiscation des produits de l’infraction ou encore des sanctions disciplinaires contre le professionnel de santé peuvent également être prononcées.
Annulation de l’amende record sanctionnant les laboratoires Novartis, Roche et Genentech pour dénigrement d’un « concurrent » constitutif d’un abus de position dominante
En 2020, l’Autorité de la concurrence avait sanctionné les laboratoires Novartis, Roche et Genentech au paiement d’une amende de 440 millions d’euros pour avoir abusé de leur position dominante collective sur le marché français[3].
L’Autorité reprochait à ces laboratoires des « pratiques abusives » dans le but de préserver les ventes du médicament Lucentis, prescrit dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (« DMLA »), au détriment d’un médicament trente fois moins cher, l’Avastin.
A la suite du développement de l’utilisation de l’Avastin, un anticancéreux qui s’est avéré avoir des effets positifs pour traiter les malades atteints de DMLA, mais qui ne bénéficiait pas d’une autorisation de mise sur le marché (« AMM ») pour traiter la DMLA, les laboratoires Novartis et Roche avaient adopté, entre 2008 et 2013, des pratiques « de blocage » condamnées par l’Autorité qui consistaient notamment à :
- une « campagne de communication globale et structurée tendant à jeter le discrédit » auprès des médecins ophtalmologistes,
- « un discours alarmiste et trompeur auprès des pouvoirs publics français ».
Toutefois, la cour d’appel de Paris a réformé cette décision et a jugé qu’aucune pratique anticoncurrentielle n’était établie à l’encontre des laboratoires Novartis, Roche et Genentech (CA Paris, 16 février 2023, n°20/14632).
La cour distingue deux périodes : avant et après l’entrée en vigueur de la loi « Bertrand » en 2011 (adoptée à la suite du scandale du Médiator), qui restreint l’utilisation des médicaments hors AMM.
Concernant les pratiques reprochées à ces laboratoires pour la période antérieure à cette loi, la cour retient que leur discours « ne manque ni de mesure ni de prudence » et qu’il n’était ni alarmiste ni trompeur. Aucun comportement d’éviction de la part de ces laboratoires n’est donc caractérisé.
Concernant les pratiques postérieures à l’entrée en vigueur de la loi Bertrand, la cour retient que l’Avastin devait être considéré comme hors marché pour le traitement de la DMLA. En conséquence, aucun comportement d’éviction ne pouvait être reproché à ces laboratoires dès lors que les médicaments « ne pouvaient être considérés comme concurrents ».
En conséquence, la cour annule l’amende de 440 millions d’euros prononcée par l’Autorité de la concurrence contre ces laboratoires.
L’équipe d’Alérion en charge de la distribution et des contrats commerciaux, Catherine Robin et Johanna Guerrero, est à votre disposition pour vous assister dans la mise en place et le suivi des relations entre fournisseurs et distributeurs.
Catherine Robin, Associée et Johanna Guerrero, Collaboratrice
[1] Communiqué de Presse de la DGCCRF du 27 janvier 2023
[2] TJ Dijon 23 janvier 2023
[3] Décision 20-D-11 du 9 septembre 2020