Actualités de la responsabilité des constructeurs et de l’assurance construction

27 août 2024
Nathalie Dupuy-Loup

  • L’application des garanties dommages-ouvrage et décennale obligatoires aux dommages aux existants…Attention aux conditions (Civ.3ème, 30 mai 2024, n°22-20.711)

Prenant acte du resserrement du champ des assurances obligatoires introduit par l’ordonnance n°2005-658 du 8 juin 2005 à l’article L.243-1-1 du Code des assurances, la Cour de cassation vient rappeler que ces garanties obligatoires ne peuvent être mobilisées pour les dommages causés aux existants par un ouvrage neuf, que sous deux conditions cumulatives : (i) une incorporation totale de l’existant dans la construction d’un ouvrage neuf et (ii) une indivisibilité technique des deux ouvrages (Civ.3ème, 30 mai 2024, n°22-20.711). S’agissant de la première condition, l’ouvrage neuf doit constituer l’ouvrage dominant : s’il s’incorpore dans la partie existante qui reste dominante, les garanties obligatoires ne pourront être mobilisées. Pour ce qui est de la seconde condition, le juge ne peut, de la même façon, se contenter d’énoncer que l’ouvrage neuf et l’ouvrage existant forment un tout indivisible : il doit caractériser en quoi, d’un point de vue technique, ils ne peuvent être considérés comme des ouvrages distincts. Le cas d’espèce concernait la pose de nouvelles tuiles sur une charpente existante et ayant endommagé celle-ci. Aucune des deux conditions n’étant rempli, l’arrêt d’appel est cassé et la garantie d’assurance décennale obligatoire du couvreur écartée…ce qui n’exclut pas pour autant sa responsabilité décennale, laquelle était bien engagée de plein droit sur le fondement de l’article 1792 du Code civil pour les dommages aux existants et les dommages immatériels consécutifs. Ou de l’intérêt de souscrire une garantie facultative des dommages aux existants…

  • La démolition-reconstruction ne caractérise pas nécessairement un dommage de nature décennale (Civ. 3ème, 6 juin 2024, n°23-11.336)

La Cour de cassation avait déjà jugé que les défauts de conformité affectant un immeuble n’entraient pas, en l’absence de désordre, dans le champ d’application de la responsabilité décennale de l’article 1792 du Code civil (notamment Civ.3ème, 20 novembre 1991, n°89-14.867). Elle vient préciser, aux termes d’une décision rendue le 6 juin 2024, qu’il en est également ainsi, quand bien même la démolition-reconstruction de l’ouvrage serait retenue pour réparer ces non-conformités et mettre l’ouvrage en conformité avec les prévisions contractuelles (Civ. 3ème, 6 juin 2024, n°23-11.336). Autrement exprimé : la solution réparatoire ne caractérise pas la nature décennale du désordre. Pour justifier la mise en jeu de la garantie d’assurance dommages-ouvrage ou décennale obligatoire, il importe que la non-conformité contractuelle porte atteinte en elle-même à la solidité de l’ouvrage ou à sa destination ; ce qui est le cas notamment lorsque le maître de l’ouvrage est exposé à un risque de démolition à la demande d’un tiers, mais ce qui n’est pas le cas lorsque cette démolition est exclusivement retenue pour réparer la non-conformité.

  • Point de départ du délai de prescription quinquennal de l’article 2224 du Code civil : distinction entre l’action en réparation d’un dommage propre dépendant du sort d’une procédure contentieuse et l’action récursoire à l’encontre d’un co-responsable (Ch. Mixte, 19 juillet 2024, n°22-18.729 et 20-23.527)

Par deux arrêts du même jour, rendus en matière fiscale mais transposable en matière de construction, la chambre mixte de la Cour de cassation est venue clarifier le point de départ du délai de prescription quinquennal de l’action en responsabilité exercée sur le fondement de l’article 2224 du Code civil, qui dispose que l’action se prescrit par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Selon la Cour, il se déduit de l’article 2224 du Code civil que « le délai de prescription de l’action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien causal entre le dommage et le fait générateur » ; ce qui conduit la Cour à opérer une distinction entre (i) l’action en réparation d’un dommage propre dont l’existence dépend de l’issue d’une procédure contentieuse opposant le demandeur à un tiers, et (ii) l’action récursoire à l’encontre d’un co-responsable.

Pour la première (l’action en réparation d’un dommage propre dont l’existence dépend de l’issue d’une procédure contentieuse), le dommage ne se manifestant qu’au jour où le demandeur est condamné par une décision passée en force de chose jugée ou devenue irrévocable, la prescription de son action en réparation du dommage ne court qu’à compter de cette décision.

Pour la seconde en revanche, « la prescription applicable au recours d’une personne assignée en responsabilité contre un tiers qu’il estime co-auteur du même dommage a pour point de départ l’assignation qui lui a été délivrée, même en référé, si elle est accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit », « sauf si elle établit qu’elle n’était pas, à cette date, en mesure d’identifier ce responsable ». Tel est le cas par exemple du recours d’un constructeur, assigné en responsabilité par le maître de l’ouvrage, contre un autre constructeur ou son sous-traitant (Civ.3ème, 14 décembre 2022, n°21-21.305). Et la Cour de cassation de rappeler également la solution identique retenue pour la prescription biennale de l’action récursoire en garantie des vices cachés qui court à compter de l’assignation (Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n°20-10.763 et n°20-19.936).

L’objectif affiché de ces solutions et de cette clarification est d’assurer un juste équilibre entre les intérêts respectifs des parties et de contribuer à une bonne administration de la justice, en limitant pour la première action, les procédures prématurées ou injustifiées, et en favorisant pour la seconde, la possibilité d’un traitement procédural du contentieux engagé par la victime, dans une même instance.