Le recul de l’autorité de la chose jugée en présence d’une clause abusive
Sibylle Mareau et Caroline Meunier
Com. 8 février 2023, n°21-17.763
L’autorité de la chose jugée attachée à une décision d’admission de créance n’exclut pas que le débiteur conteste utilement la créance devant le juge de l’exécution en présence d’une clause abusive.
Dans cette affaire, une banque a consenti à une personne physique deux prêts notariés garantis par une hypothèque. L’emprunteur a été placé en liquidation judiciaire et le juge commissaire a admis les créances de la banque au passif du débiteur par deux ordonnances devenues irrévocables et ainsi revêtues de l’autorité de la chose jugée.
Par la suite, la banque a initié une procédure de saisie immobilière. A l’audience d’orientation du juge de l’exécution, puis devant la Cour saisie de l’appel formé contre le jugement d’orientation, le débiteur a soulevé une contestation des créances de la banque tirée de ce que la clause d’exigibilité anticipée stipulée aux contrats de prêt serait abusive, de sorte que la créance de la banque ne serait pas exigible.
Les juges du fond ont rejeté la contestation en se fondant notamment sur (i) l’autorité de la chose jugée qui s’attache au dispositif des décisions de justice irrévocables et en particulier des décisions d’admission d’une créance et (ii) l’article R. 121-1 du Code des procédures civiles d’exécution, qui précise que, lorsque le titre exécutoire qui sert de fondement aux poursuites est une décision de justice, le juge de l’exécution ne peut en modifier le dispositif ni en suspendre l’exécution.
Toutefois, tout en confirmant l’autorité de la chose jugée de la décision d’admission du Juge commissaire sur l’existence, la nature et le montant de la créance admise, la Cour de cassation ajoute que l’autorité de la chose jugée « ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l’obligation incombant au juge national de procéder à un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles ».
Autrement dit, le mécanisme de l’autorité de la chose jugée ne peut faire obstacle au contrôle juridictionnel effectif d’une clause si la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée n’a pas contrôlé (d’office ou à la demande des parties) la clause susceptible d’être abusive.
Cette solution, qui vaut quelle que soit la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, et non pour le seul cas de la décision d’admission au passif, repose sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui consacre l’office obligatoire du juge national de contrôler caractère abusif d’une clause y compris au stade des mesures d’exécution forcée.
Cet important tempérament au principe de l’autorité de la chose jugée marque une insécurité élevée pour les créanciers, qui peuvent avoir intérêt à provoquer d’eux-mêmes le débat des clauses abusives dans le cadre de l’instance qui doit constater l’existence de leur créance, afin d’éviter que les débiteurs n’attendent le stade de l’exécution pour invoquer une contestation portant sur le caractère abusif d’une clause.
Sibylle Mareau, Associée et Caroline Meunier, Counsel