Pacte Dutreil : la Cour de cassation apporte des précisions positives sur la notion de holding animatrice
Ch. Com du 14 octobre 2020, n°632 (18-17.955)
Philippe Pescayre et Julien Lebel
Codifié à l’article 787 B du CGI, le régime Dutreil permet de faciliter les transmissions d’entreprises à titre gratuit (par voie de donations ou successions), en prévoyant :
– D’une part, un abattement de 75% sur la valeur des parts ou actions transmises ;
– Et d’autre part, une réduction de droits de 50% pour les donations consenties en pleine propriété avant le 70ième anniversaire du donateur.
Le dispositif est réservé aux entreprises qui exercent une activité opérationnelle, c’est-à-dire de nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion de celles dont l’activité consiste à gérer un patrimoine mobilier ou immobilier.
La question de la transmission de titres de sociétés holdings qui, par nature, exercent une activité civile de gestion d’un portefeuille de participations, pose de nombreuses difficultés d’application.
Les enjeux de la qualification de holding animatrice en matière de donations / successions : une application plus large du dispositif Dutreil, et une possibilité d’étaler le paiement des droits
Les enjeux en matière de droits de donation ou de succession peuvent se révéler importants puisque la qualification de holding animatrice permet :
– De bénéficier à plein de l’abattement de 75% prévu par le dispositif Dutreil. Si le dispositif peut être appliqué dans le cadre de la transmission de titres d’une holding passive, l’abattement de 75% sera toutefois limité à proportion de la valeur des participations qu’elle possède dans des sociétés qui remplissent les conditions posées par le dispositif, et qui notamment exercent une activité opérationnelle. Si, au contraire, la holding peut être considérée comme animatrice de son groupe, l’abattement de 75% s’appliquera sur l’intégralité de la valeur des titres transmis ;
– Et, sous certaines conditions, de solliciter le bénéfice du paiement différé fractionné des droits, qui permet de décaler le paiement des droits de donation ou de succession pendant 5 ans (seuls des intérêts étant payés sur cette période), puis de lisser le paiement des droits sur une période de 10 ans.
Une notion qui n’est pas définie par les textes, et que l’administration fiscale s’est toujours refusée à préciser
Si l’administration fiscale admet l’éligibilité des sociétés holdings au dispositif Dutreil, elle en limite le bénéfice aux sociétés holdings animatrices de leur groupe, par opposition aux holdings passives.
La doctrine administrative définit les holdings animatrices comme celles qui, « outre la gestion d’un portefeuille de participations, participent activement à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers » (voir notamment BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 §50).
Malgré plusieurs projets de doctrines, l’administration comme le législateur se sont toujours refusés à donner à la notion de holding animatrice un cadre plus précis, et à définir les critères permettant de caractériser une participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales.
Des précisions attendues depuis l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 23 janvier 2020, qui avait annulé les critères administratifs d’appréciation de la prépondérance de l’activité commerciale
Si la doctrine administrative ne donne pas de critères précis de définition des holdings animatrices, elle donnait en revanche des précisions s’agissant des sociétés qui exercent des activités mixtes c’est-à-dire qui, comme les sociétés holdings animatrices, exercent à la fois une activité non qualifiante (s’agissant des sociétés holdings, de gestion de leurs placements financiers et de leur trésorerie) et une activité qualifiante (d’animation des filiales opérationnelles).
Dans ce cas, la société est éligible au dispositif Dutreil si son activité qualifiante peut être considérée comme prépondérante. Pour cela, la doctrine administrative fixait deux critères cumulatifs :
– Celui du chiffre d’affaires procuré par l’activité éligible (qui doit représenter au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total) ;
– Et celui du montant de l’actif brut immobilisé (qui doit représenter au moins 50 % du montant total de l’actif brut).
Ces critères ont toutefois été très critiqués, car ils ne se révèlent pas pertinents pour l’ensemble des entreprises et des activités. A titre d’illustration, leur application conduit à refuser systématiquement le bénéfice du dispositif à une société exerçant une activité de marchand de biens (par nature éligible) lorsque celle-ci exerce également une activité civile de gestion de sa trésorerie. En effet, les biens immobiliers affectés à son activité étant comptabilisés en stocks (et non en immobilisations), le critère tenant au montant de l’actif brut immobilisé ne peut jamais être respecté.
S’agissant spécifiquement des holdings animatrices, s’est posée la question de savoir si ces critères de prépondérance pouvaient leur être appliqués. L’administration tend en effet à considérer lors des contrôles fiscaux que, dans la mesure où la possibilité pour les sociétés holdings d’appliquer le dispositif Dutreil résulte selon elle d’une tolérance administrative, elle est en droit d’appliquer les critères de prépondérance de manière plus restrictive qu’à l’égard des autres sociétés commerciales.
En tout état de cause, les critères de prépondérance ne se révèlent pas davantage pertinents à l’égard des sociétés holdings. En effet, comme le rappelle l’administration dans sa définition, le caractère animateur des sociétés holdings se matérialise par l’influence qu’elle exerce dans la politique du groupe et le contrôle de ses filiales. Or ce contrôle et cette influence ne génèrent pas nécessairement de chiffre d’affaires. Par ailleurs, la réalisation de prestations de services à destination des filiales n’est pas indispensable à leur animation, et demeure en tout état de cause un critère très accessoire. Les recettes des sociétés holdings sont par conséquent composées, le plus souvent, des produits financiers (dividendes, intérêts…) remontés de ses filiales, sans que cela ne puisse, en toute logique, avoir d’influence sur le caractère animateur ou non de la société holding.
Dans un arrêt du 23 janvier 2020 (n°435562) le Conseil d’Etat a ainsi considéré que ces critères méconnaissaient le sens et la portée des dispositions de l’article 787 B, et a annulé la doctrine administrative sur ce point.
Des précisions positives apportées par la Cour de cassation, mais des points qui restent toujours à clarifier
Dans son arrêt du 14 octobre 2020, la Cour de Cassation apporte un certain nombre de précisions positives :
– Elle confirme que l’exonération Dutreil s’applique aux holdings qui n’animent pas l’intégralité de leurs filiales, dès lors que l’activité d’animation est prépondérante ;
– Elle précise que la prépondérance de l’activité éligible s’apprécie en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions dans lesquelles elle est exercée ;
– Elle ajoute que s’agissant des sociétés holdings, ce critère est considéré comme rempli lorsque la valeur vénale, au jour du fait générateur de l’imposition (c’est-à-dire à la date de la donation ou du décès), des titres des filiales animées représente plus de la moitié de son actif total ;
– La Cour prend soin en outre de préciser qu’une société holding peut être animatrice de son groupe même si elle ne remplit pas ce critère (précision qui découle de l’utilisation, par la Cour, de l’adverbe « notamment »).
Cette dernière précision mérite d’être soulignée. En effet, le caractère animateur d’une société holding doit s’apprécier au regard de la valeur des sociétés animées, mais également de certains autres actifs, tels que les stocks ou la trésorerie, sous réserve qu’ils soient utiles à l’activité. La nature des recettes de la holding peut également constituer un indice à prendre en compte pour déterminer la prépondérance commerciale, notamment lorsque coexistent par exemple des recettes issues de la facturation de services aux filiales et des recettes locatives.
Les différents critères et indices permettant de justifier de l’affectation de tout ou partie de ces éléments d’actifs à l’activité opérationnelle nécessitent en revanche toujours d’être précisés par la jurisprudence. Notamment, il serait souhaitable que soit confirmé que les comptes courants dans les filiales, au même titre que la valeur des participations, sont bien à prendre en compte pour la détermination de la prépondérance commerciale de la holding, De même, la question de savoir si la valeur des immeubles loués par la holding à ses filiales pour les besoins de leur exploitation doit être retenue au titre de l’activité commerciale ou de l’activité civile reste aujourd’hui incertaine.
Ainsi, même si cette jurisprudence ne répond pas à l’ensemble des questions soulevées par la définition du caractère animateur des sociétés holdings, elle apporte néanmoins des précisions logiques et positives, qui permettent d’offrir un environnement fiscal plus clair et plus lisible aux transmissions de titres de société holding en régime Dutreil.
Nos équipes sont à votre écoute sur ce sujet, et seront heureuses de vous accompagner, plus largement, dans votre réflexion quant à la transmission de votre patrimoine. N’hésitez pas à nous contacter.
Philippe Pescayre, Associé, et Julien Lebel, Collaborateur senior