Management packages : Le Conseil d’Etat renforce l’importance du critère du lien salarial
Stanislas Vailhen et Julien Lebel
A côté des dispositifs d’intéressement des salariés et dirigeants encadrés par la loi (notamment actions gratuites, BSPCE), de nombreux autres mécanismes ont été développés par la pratique, en particulier dans le cadre des opérations de LBO.
Ces management packages font l’objet d’un contentieux nourri, les administrations fiscale et sociale se montrant particulièrement vigilantes sur les conditions de leur mise en place, et n’hésitant pas à requalifier régulièrement les gains réalisés par les bénéficiaires en traitements et salaires, de manière à les soumettre aux cotisations sociales ou à leur appliquer un régime fiscal moins favorable.
Trois arrêts rendus le 13 juillet dernier par le Conseil d’Etat en formation plénière (n°428506, n°437498, n°435452) en apportent de nouvelles illustrations, en matière fiscale. S’ils concernent des faits anciens, et des dispositifs de BSA et d’option de souscription d’actions, beaucoup moins utilisés aujourd’hui qu’ils n’ont pu l’être par le passé, ces arrêts apportent néanmoins un éclairage plus large sur les dispositifs d’intéressement dans leur ensemble, et renforcent l’importance du critère du lien salarial, au détriment des critères d’ordre financier.
Dans l’affaire Wendel (CE, 12 février 2020, n° 421444), largement commentée, le Conseil d’Etat avait reproché à la Cour d’appel d’avoir requalifié le gain réalisé par les bénéficiaires en salaires, sans avoir caractérisé l’existence d’un avantage financier consenti aux intéressés. Beaucoup d’observateurs en avaient conclu que la démonstration d’un tel avantage était une condition indispensable à une requalification de la plus-value et à son imposition dans la catégorie des traitements et salaires, et que le fait pour le bénéficiaire d’avoir pris un risque financier de perte de son investissement était une protection suffisante.
Par ces trois arrêts, le Conseil d’Etat bat cette logique en brèche.
Les juges établissent en effet une différence entre (i) l’avantage constaté lors de la souscription des BSA, (ii) celui constaté lors de l’exercice éventuel des options ou des bons octroyés et (iii) le gain réalisé lors de la cession des titres ou des bons. Ils considèrent que si la souscription des BSA ne peut s’accompagner d’un avantage salarial que lorsque les bons ont été acquis pour un prix sous-évalué, tel n’est pas le cas des gains issus de l’exercice ou de la revente des bons, ou des actions issues de leur conversion.
En cas d’avantage consenti sur le prix d’acquisition de l’instrument financier, cet avantage pourra également être requalifié en salaires. Il le sera d’ailleurs de manière quasi-automatique. L’avantage obtenu sera taxable au titre de l’année de son attribution et non pas au moment de la revente des titres. En revanche, s’agissant de la plus-value de revente, peu importe que les BSA aient été évalués sur la base de l’une des méthodes financières reconnues, telles que la méthode Black & Scholes, la simulation de Monte Carlo ou encore la technique des arbres binomiaux.
Ainsi, même si le bénéficiaire a acquis ses BSA pour leur juste valeur au jour de leur attribution, que cette valeur est correctement documentée, et qu’il a accepté de prendre un risque financier de perte en capital (égal au prix de souscription des bons), s’il réalise finalement un gain au moment de la cession des titres issus de la conversion des BSA, il sera possible pour l’administration fiscale de requalifier ce gain en revenu salarial.
Certes, cette requalification ne sera pas automatique, et nécessitera pour l’administration de démontrer que le gain réalisé est la contrepartie des fonctions qu’il exerce au sein du groupe.
Mais c’est précisément sur ce point que demeure toute l’ambiguïté, dans la mesure où le Conseil d’Etat entretient un certain flou sur les critères permettant de faire le lien entre le gain réalisé et les fonctions de salarié ou de dirigeant. Pour sa part, le rapporteur public souligne dans ses conclusions que : « Ce rattachement du gain au contrat de travail peut par exemple être révélé (…) par des circonstances tirées de ce que l’octroi du bon ou de l’option était lié aux fonctions de l’intéressé, que l’exercice du bon ou de l’option est subordonné au maintien pendant une certaine durée de l’intéressé dans l’entreprise, voire à sa présence dans l’entreprise à la date de levée de l’option, ou encore par l’existence d’un lien entre les conditions dans lesquelles l’option est levée (prix d’exercice, quotité) et l’atteinte de certains objectifs de rentabilité ou de résultat ». Ces trois nouvelles affaires ne devraient ainsi pas mettre un terme aux contentieux en la matière.
En cas de contrôle, le sujet s’annonce délicat pour le contribuable, tant le Conseil d’Etat semble présumer l’existence d’un lien entre les fonctions exercées et l’avantage obtenu, au simple motif que les dispositifs d’intéressement mis en place ne sont, par définition, accordés qu’à des salariés ou des dirigeants du groupe.
Par ailleurs, de nombreux éléments sont retenus pour requalifier le gain d’exercice des BSA, tels que l’incessibilité temporaire des titres, l’existence d’un engagement de non-concurrence, l’obtention d’un TRI minimum ou encore la réalisation par les investisseurs d’un multiple déterminé à l’avance. Si certaines clauses (notamment de leaver) ont déjà été bannies par la plupart des praticiens, et lient à l’évidence de manière incontestable le gain réalisé avec l’exercice des fonctions, d’autres nécessitent semble-t-il d’être cumulées pour établir ce lien. Mais l’incertitude demeure.
Dans ce contexte, la jurisprudence actuelle invite à privilégier, lorsque cela est possible, les dispositifs encadrés par la loi, tels que les actions gratuites, ou les BSPCE.
On ne peut par ailleurs qu’espérer que le législateur s’empare de ce sujet, et n’élargisse le champ des dispositifs disponibles.
Nos équipes sont à votre disposition pour évoquer ces sujets, et vous accompagner dans la mise en place de dispositifs d’intéressement.
Stanislas Vailhen, Associé, et Julien Lebel, Counsel en droit fiscal.