La loi Avia contre la haine en ligne largement censurée par le Conseil constitutionnel : comment une loi pavée de bonnes intentions pourrait en réalité conduire à des dérives …
Corinne Thiérache et Alice Marie
Après des mois de controverse, la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet adoptée par le Parlement le 13 mai 2020 devait entrer en application le 1er juillet prochain mais se trouve désormais privée d’une grande partie de sa substance.
Par sa décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur cette loi, dont il avait été saisi par plus de soixante sénateurs le 18 mai 2020.
Tout en réaffirmant que la Constitution permet au législateur de réprimer les abus de la liberté d’expression et de communication, le Conseil constitutionnel censure des dispositions portant à cette liberté des atteintes qui ne sont pas adaptées, nécessaires et proportionnées.
Il s’agit de deux séries de dispositions de l’article 1er de la loi déférée instituant à la charge de différentes catégories d’opérateurs de services de communication en ligne de nouvelles obligations de retrait de certains contenus diffusés en ligne.
La première série de dispositions permet à l’autorité administrative de demander aux hébergeurs ou aux éditeurs d’un service de communication en ligne de retirer dans un délai d’une heure certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique et prévoyant l’application d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende en cas de manquement.
S’il juge en des termes inédits que constituent des abus de la liberté d’expression et de communication qui portent gravement atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers la diffusion d’images pornographiques représentant des mineurs et la provocation à des actes de terrorisme ou l’apologie de tels actes, le Conseil constitutionnel considère néanmoins que la détermination du caractère illicite des contenus ne repose pas sur leur caractère manifeste mais qu’elle est soumise à la seule appréciation de l’administration. Pour faire ce constat, il a été considéré que le délai laissé à l’opérateur pour s’exécuter ne lui permettait pas d’obtenir une décision du juge. Pour les contenus signalés par des personnes, le Conseil souligne le risque que les opérateurs soient incités à retirer tous les contenus contestés, y compris ceux qui sont licites.
La seconde série de dispositions impose à certains opérateurs de plateforme en ligne de retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de vingt-quatre heures des contenus manifestement illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel, sous peine de sanction pénale. Le Conseil constitutionnel juge que, compte tenu des difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement et de l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité ne permettant pas de déterminer la portée de cette dernière, les dispositions contestées ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites.
La censure de ces dispositions entraîne, par voie de conséquence, celle des dispositions du texte qui organisaient la mise en œuvre de l’obligation de retrait de contenus.
Dès lors, il convient de saluer la sagesse du Conseil constitutionnel qui a ainsi totalement joué son rôle en rappelant les principes élémentaires de notre Constitution et le rôle incontournable du juge judiciaire, garant de nos libertés et droits essentiels.
Corinne Thiérache, Associée, et Alice Marie, Elève-Avocat du Département Droit des technologies et du numérique.