La nouvelle chambre de la Cour d’appel de Paris dédiée aux contentieux émergents tenait sa première audience le 5 mars 2024

06 mars 2024
Jacques BOUYSSOU & NIÑO-VARGAS Juan Diego

Pionnière avec sa loi sur le devoir de vigilance, la France a confirmé sa détermination pour agir dans ce domaine en créant une chambre spécialisée pour traiter le contentieux découlant du devoir de vigilance.

Début 2024, la Cour d’Appel de Paris a, en effet, annoncé la création d’une nouvelle chambre dédiée aux contentieux émergents[1] qui tenait sa première audience le 5 mars 2024.  

Cette nouvelle chambre, située au sein du pôle économique, a pour compétence les contentieux relatifs au devoir de vigilance[2], au reporting de durabilité CSRD[3], à la responsabilité écologique[4] ainsi qu’à l’appel des ordonnances de référés et à la mise en état dans ces matières[5].

L’inauguration de cette chambre illustre la volonté de la cour d’appel de Paris de « mieux mettre en lumière les interactions entre la cour d’appel de Paris et la Cité économique » qui avait présidé à la création du Conseil de justice économique de la Cour d’appel de Paris le 30 novembre 2023[6].

Dans un contexte où les enjeux juridiques entourant la responsabilité des entreprises sont de plus en plus prégnants, cette initiative est évidemment particulièrement bienvenue.

La spécialisation d’une chambre à compétence nationale devrait, en effet, garantir une jurisprudence unifiée sur ses divers champs de compétence et contribuer à une meilleure sécurité juridique pour les entreprises.

Les enjeux sont de taille puisque, pour cette première audience, la nouvelle chambre était saisie de trois affaires concernant le devoir de vigilance des sociétés TotalEnergies, Suez et EDF.

Pour rappel, la loi du 27 mars 2017 en France impose un devoir de vigilance aux grandes entreprises en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Les sociétés comptant au moins 5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde doivent établir et appliquer un plan de vigilance. Le non-respect de ces obligations peut engager leur responsabilité.

Dans les trois affaires appelées à l’audience du 5 mars 2024, les sociétés en cause se voient reprocher par des collectivités territoriales et des ONG la non-conformité de leurs plans de vigilance aux enjeux environnementaux.

Les affaires TotalEnergies, Suez et EDF

Pour TotalEnergies, le point central concerne la non-conformité de son plan de vigilance à l’objectif de l’Accord de Paris visant à contenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, en raison de la poursuite des projets d’exploration de nouveaux gisements d’hydrocarbures.

En ce qui concerne Suez et EDF, les reproches portent sur des projets menés au Chili et au Mexique respectivement. Suez est accusée des défaillances répétées d’une de ses usines au Chili ayant affecté le réseau d’eau potable. EDF est confrontée à des accusations de non-consultation des populations autochtones dans le cadre d’un projet de parc éolien au Mexique.

Avant de statuer sur le fond de ces questions, le Tribunal judiciaire de Paris avait rejeté plusieurs demandes dans ces affaires, considérant que les demandeurs – des collectivités territoriales et des ONG – n’étaient pas recevables à agir[7]. Dans l’une de ces affaires, par exemple, le Tribunal avait notamment considéré que l’obligation de mise en demeure n’avait pas été respectée par les demandeurs, car leur mise en demeure ne visait pas le même plan de vigilance que leur assignation. Dans une autre affaire, le Tribunal a jugé que certaines collectivités territoriales, notamment les villes de Paris et de New York, n’avaient pas d’intérêt à agir, leurs territoires ayant été considérés comme non directement concernés.

Ces décisions très commentées apportaient des premiers enseignements concernant la loi sur le devoir de vigilance.

L’enjeu autour des décisions attendues

La Cour d’appel devra se prononcer sur la recevabilité des actions des collectivités territoriales et des ONG, qui soutiennent notamment que le Tribunal judiciaire n’aurait pas correctement apprécié les faits de l’espèce et aurait appliqué une exigence de « phase de conciliation » non prévue par la loi[8].

C’est une question essentielle ! La solution conditionnera l’engagement d’un contentieux appelé à se développer.

L’Observatoire Alerion des Contentieux Climatiques suit l’évolution de ces affaires avec intérêt.


[1] Cour d’appel de Paris, Création d’une chambre des contentieux émergents – devoir de vigilance et responsabilité écologique à la CA de Paris, 18 janvier 2024, https://www.cours-appel.justice.fr/paris/creation-dune-chambre-des-contentieux-emergents-devoir-de-vigilance-et-responsabilite.

[2] Actions relatives au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce.

[3] Publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022).

[4] Actions prévues à l’article L. 211-20 du code de l’organisation judiciaire, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre de parties, de la technicité du litige, de sa nouveauté, ou de l’étendue géographique du préjudice écologique.

[5] Cour d’appel de Paris, PÔLE 5 – Economique et commercial, 5  février 2024, https://www.cours-appel.justice.fr/paris/pole-5-economique-et-commercial#5-12.

[6] Cour d’appel de Paris, Conseil de justice économique, 5 décembre 2023,  https://www.cours-appel.justice.fr/paris/conseil-de-justice-economique.

[7] Tribunal judiciaire Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403, TotalEnergies SE (Total – Climat) ; Tribunal judiciaire Paris, 1er juin 2023, n° 22/07100, SUEZ SA ; Tribunal judiciaire Paris, 30 novembre 2021, n° 20/10246, EDF.

[8] Sherpa, Procès climatique contre TotalEnergies : audience décisive devant la cour d’appel, 4 mars 2024, https://www.asso-sherpa.org/proces-climatique-contre-totalenergies-audience-decisive-devant-la-cour-dappel.