De l’importance de la rédaction de la clause de force majeure dans le contrat

26 mai 2020
Catherine Robin

Suspension de l’obligation d’achat en application de la clause de force majeure, spécificité de la clause, notion de « conditions économiques raisonnables ».

T.com. Paris, ordonnance de référé du 20 mai 2020, TOTAL DIRECT ENERGIE / EDF

Le juge des référés suspend l’obligation d’achat de Total Direct Energie (TDE) stipulée dans le contrat-cadre la liant à EDF, faisant ainsi application de la clause de force majeure convenue entre les parties.

Le différend était relatif à un contrat-cadre de fourniture d’électricité liant les parties et aux termes duquel TDE avait pris des engagements fermes d’achat d’électricité. Face à la baisse brutale de la consommation d’électricité causée par les mesures gouvernementales liées à l’épidémie de coronavirus, et du fait de son impossibilité de stocker, TDE avait été contrainte de revendre à perte les quantités d’électricité achetées à EDF. TDE avait alors sollicité de EDF la suspension du contrat en se prévalant de la clause de force majeure qu’il prévoyait. EDF s’opposait à la suspension en faisant valoir, selon les termes de l’ordonnance, que les conditions de la force majeure n’étaient pas réunies et que TDE n’était pas dans l’impossibilité d’exécuter le contrat à savoir, notamment, de prendre livraison et de payer le prix correspondant. EDF soulignait que les conditions techniques et financières des livraisons étaient inchangées et qu’en réalité, TDE exprimait une volonté de remettre en cause le contrat.

Pour ordonner la suspension du contrat, le juge des référés conclut à l’existence d’un cas de force majeure. Ce faisant, il applique la clause contractuelle convenue entre les parties qui donne une définition spécifique de la force majeure, différente de celle du code civil.

En effet, la force majeure telle que définie par le contrat en cause désignait « un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables ».

Si la clause prévoyait bien les trois caractéristiques habituelles de la force majeure (extériorité, irrésistibilité et imprévisibilité), elle se distinguait dans les conséquences que la survenance de l’événement produisait sur les obligations contractuelles. Ainsi, quand la force majeure retenue par le code civil (art. 1218) est celle dont les effets ne peuvent pas être évités et qui empêche l’exécution de l’obligation concernée, la force majeure visée dans le contrat en cause était celle qui « rendait impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables ». En introduisant la notion de « conditions économiques raisonnables », les parties avaient donné un champ d’application plus large à l’événement susceptible de suspendre le contrat, qui lie le juge dans son interprétation et le conduit à vérifier l’aspect économique de la situation alors que :

– cette vérification est exclue de la force majeure traditionnelle (une exécution plus onéreuse du contrat, ne constitue pas une impossibilité d’exécuter exonératoire de responsabilité) ;

– cette analyse relève plutôt du mécanisme de l’imprévision introduit dans le code civil pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016 (art. 1195), selon lequel un changement de circonstances, imprévisible à la conclusion du contrat, qui rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie, lui permet de demander une renégociation des termes contractuels et, en cas d’échec, de saisir le juge pour les réviser ou mettre fin au contrat.

Conclu avant la mise en place du mécanisme de l’imprévision, le contrat entre EDF et TDE avait donc prévu un outil mélangeant la notion de force majeure et le changement de conditions économiques, destiné à s’appliquer « immédiatement » et « de plein droit » comme le souligne le juge.

A ce titre, il subsiste à notre sens une confusion dans la décision. En effet, le juge caractérise la force majeure en ce qu’il énonce que « la diffusion du virus revêt, à l’évidence, un caractère extérieur aux parties, qu’elle est irrésistible et qu’elle était imprévisible comme en témoignent la soudaineté et l’ampleur de son apparition ». Or, si l’événement est bien « extérieur » aux parties et « imprévisible » en mai 2016, date de la conclusion du contrat, est-il vraiment « irrésistible » dans la relation TDE -EDF ? Sous l’empire du droit antérieur, un événement « irrésistible » s’entend comme un événement « insurmontable » dont les effets ne peuvent pas être évités par des mesures appropriées, ce qui écarte la notion de force majeure pour des obligations de payer et pour toute difficulté financière. Or, en l’espèce, et EDF le soulignait, TDE semblait se prévaloir essentiellement du fait que la situation l’empêchait de revendre l’électricité à un prix économiquement intéressant pour elle. Le jeu de la clause contractuelle s’apparentait donc à un outil de rétablissement d’un équilibre économique ? On regrette néanmoins la brièveté de la décision en ce qu’elle énonce, sans motivation, que la diffusion du virus remplit le caractère « irrésistible » de la force majeure, ce qui est probablement dû à l’absence de contestation des parties sur ce point.

Cette ordonnance de référé nous rappelle l’importance des clauses contractuelles et la liberté des parties dans leur rédaction tout comme la nécessité de vérifier, à chaque fois, leur contenu, la définition des événements en cause, les conditions et modalités de mise en œuvre, les conséquences de leur application…

Affaire à suivre …

Catherine Robin, Associée