Hors circonstances économiques dégradées, la négociation d’un APC est difficilement envisageable
Jacques Perotto
« L’accord de performance collective n’est pas un outil de gestion des RH comme un autre, il est un mécanisme douloureux pour les salariés et permettant aux employeurs d’assurer la pérennité de l’entreprise en préservant l’emploi », estime Jacques Perotto, avocat en droit social, Alerion avocats, dans une interview pour AEF info. Le cabinet a accompagné « dans l’ensemble des PME et pour certaines de plus de 1 000 salariés » qui avaient « pour dénominateur commun d’être en proie à des difficultés économiques que la pandémie a largement aggravées ». « Nos clients du CAC 40 touchés par les effets négatifs de la pandémie mais qui continuent à gagner de l’argent ont préféré passer par la négociation d’une RCC qui fonctionne exclusivement sur la base du volontariat. » En dehors de circonstances économiques dégradées avérées, la négociation d’un APC paraît difficilement envisageable, estime l’avocat.
AEF info : Quelles sont les entreprises pour lesquelles vous avez négocié un accord de performance collective ? Dans quel contexte ?
Jacques Perotto: Ce sont dans l’ensemble des PME, et pour certaines de plus de 1 000 salariés. Mais toutes ont un dénominateur commun : elles étaient en proie, et le sont toujours d’ailleurs, à des difficultés économiques que la pandémie a largement aggravées.
Quand on est par exemple sous-traitant de l’industrie hôtelière, certains sites ont été mis à l’arrêt depuis mars dernier et malheureusement les suppressions des postes deviennent quasi inévitables. L’alternative passe par une réduction de la masse salariale via un APC qui est intervenu, dans notre cas, comme une contrepartie au soutien financier de l’actionnaire majoritaire. Il est à noter que la situation financière de l’entreprise était tellement préoccupante qu’une procédure de mandat ad hoc avait été ouverte.
À l’inverse, certains de nos clients, notamment dans le tourisme, n’ont pas gagné un euro de chiffre d’affaires depuis le début du confinement. Les suppressions de postes constituent malheureusement la seule option envisageable pour tenter de sauver l’entreprise. Et nous n’avons pas pu passer par la case APC.
AEF info : Quelles ont été les points les plus discutés ? Quelles ont été les contreparties ?
Jacques Perotto : Nous avons également accompagné un club de rugby dans sa négociation d’un APC. Les clubs professionnels ont en effet des recettes en grande partie assurées par la billetterie et par les sommes versées par leurs partenaires commerciaux. Or, en l’absence de match ou en cas de réduction de la jauge, la visibilité se rétrécit et les partenaires rechignent à renouveler leurs engagements financiers dans les mêmes proportions.
L’APC avec une réduction de 15 % de la masse salariale du secteur sportif (joueurs et staff technique) et non sportif (commerciaux, administratifs), a été l’une des options mise en oeuvre, à l’instar, par exemple, des clubs de Bordeaux ou de Clermont, qui a permis de passer les contrôles de la DNACG, le « gendarme » financier des clubs professionnels.
Pour certains de nos clients, nous avons prévu de la mobilité géographique dans l’APC en l’absence de clause de mobilité dans les contrats de travail. Cela a permis de fermer des sites non rentables en regroupant les activités sur un seul site et en transférant ainsi tout ou partie des contrats de travail.
Mais il ne faut pas se leurrer, une réduction de salaires a beaucoup de mal à passer chez les salariés.
Et du côté des organisations syndicales, il y a de la suspicion car elles redoutent dérives et abus. Pour l’éviter, l’APC doit être mis en oeuvre pour ce qu’il est, c’est-à-dire avant tout un outil permettant de préserver l’emploi et donc d’éviter un PSE. Il y a donc abus si, par exemple, les salariés licenciés pour avoir refusé l’APC ne sont pas remplacés.
La conclusion d’un APC exige de part et d’autre de la loyauté. La motivation de la conclusion d’un APC qui doit figurer dans le préambule de l’accord constitue bien en ce sens un point de contrôle du juge.
Tous les accords dont nous avons accompagné la négociation étaient à durée déterminée avec une clause de retour à meilleure fortune. Cela paraît assez évident, compte tenu de la philosophie qui doit, à notre sens, animer les partenaires sociaux dans cette négociation : l’APC n’est pas un outil de gestion des ressources humaines comme un autre, il est avant tout un mécanisme douloureux pour les salariés et permettant aux employeurs d’assurer la pérennité de l’entreprise en préservant l’emploi.
AEF info : Comment ce dispositif s’articule-t-il avec une réduction des effectifs ?
Jacques Perotto : Les organisations syndicales peuvent demander des engagements en termes d’emploi. À ce titre, elles exigent souvent la formalisation dans le corps de l’APC d’un engagement de la société de ne supprimer aucun poste pendant la durée d’application de l’accord ; engagement qu’il est souvent difficile de prendre.
Dans les APC que nous avons conclus, il n’y avait pas engagement en termes d’emploi car la situation économique était trop dégradée pour envisager de prendre de tels engagements. Mais il est certain que nous avons failli ne pas avoir la signature pour cette raison. Les organisations syndicales faisaient valoir notamment que les salariés qui seraient licenciés post-APC auraient une base de calcul de leurs indemnités de rupture dévalorisée du fait de l’application de l’APC.
AEF info : Ce dispositif a surtout été utilisé par les PME et ETI, et peu par les grandes entreprises. Le contexte du Covid est-il susceptible de changer cette tendance ?
Jacques Perotto : Difficile de répondre de manière générale. Nos clients du CAC 40 touchés par les effets négatifs de la pandémie mais qui continuent tout de même à gagner de l’argent ont préféré passer, par exemple, par la négociation d’une RCC qui fonctionne exclusivement sur la base du volontariat. En effet, en dehors de circonstances économiques dégradées avérées, la négociation d’un APC paraît difficilement envisageable. Or, l’APC, même s’il est négocié et signé avec les organisations syndicales, s’impose ensuite aux salariés. La situation est différente dans le cas de la RCC qui est aussi négociée, mais elle basée sur un mode purement volontaire. L’impact n’est donc pas du tout le même pour les salariés. C’est pourquoi, effectivement, les APC que nous avons accompagnés concernent des PME et ETI.
Interview publiée le 17 septembre dans AEF info: https://www.aefinfo.fr/acces-depeche/635793