Exportation de pesticides: le « Made in France » interdit
Frédéric Saffroy, Justine Clerc et Léa Bonnaffous
I. LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT L’EMPORTE SUR LA LIBERTE D’ENTREPRENDRE
Portée par l’Union des Industries pour la Protection des Plantes (l’UIPP) devant le Conseil d’Etat, une QPC visait l’atteinte excessive à la liberté d’entreprendre des effets de l’interdiction, à partir de 2022, de la production, du stockage et de la circulation en France des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées au niveau européen pour des raisons liées à la protection de la santé ou de l’environnement (l’article 83 de la loi Egalim).
Limitée à la France, l’interdiction n’aurait aucun effet sur la protection de l’environnement et l’objectif de réduction des produits phytopharmaceutiques dès lors que les pays importateurs pourront continuer à s’approvisionner auprès de producteurs étrangers et d’autres pays européens, même si la substance est effectivement interdite de mise sur le marché en Europe.
Par une décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a toutefois considéré que l’atteinte à la liberté d’entreprendre était justifiée par le respect des objectifs à valeur constitutionnelle que sont la protection de la santé et la protection de l’environnement.
En interdisant l’exportation de tels produits vers d’autres pays, le Conseil constitutionnel a confirmé la volonté du législateur de limiter les effets nocifs que les activités exercées en France pouvaient avoir pour la santé et l’environnement dans le reste du monde.
II. LES SUBSTANCES ACTIVES EXPORTABLES APRES LE 1ER JANVIER 2022
A partir de 2022, les substances actives interdites à l’exportation seront celles qui, après le dépôt d’une demande introduite par le producteur de la substance, sont considérées comme dangereuses pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement au titre des dispositions du règlement (CE) n°1107/2009 du 21 octobre 2009.
Dès lors, resteront possibles en France la production et l’exportation de :
– Substances actives qui n’ont pas fait l’objet d’une demande d’approbation au niveau européen ;
– Substances actives qui n’ont pas été approuvées pour des raisons autres que leur dangerosité pour la santé et l’environnement ;
– Substances actives interdites en France, mais approuvées au niveau européen (le glyphosate par exemple).
C’est ce que confirme la circulaire ministérielle du 23 juillet 2019, qui précise les conditions d’application de l’interdiction : les acteurs concernés (producteurs de produits phytopharmaceutiques, mais également semenciers et transporteurs) et les conditions de transport et de stockage de ces substances. A noter que le transit par la France des produits visés par l’interdiction d’exportation restera autorisé, préservant ainsi la libre circulation des biens et des marchandises.
III. UNE DECISION A DOUBLE TRANCHANT
La décision du Conseil constitutionnel s’inscrit sans conteste dans la volonté, réaffirmée par le gouvernement français, de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques, que ce soit en France ou dans le reste du monde et de contraindre les acteurs français du marché des produits phyto à rechercher des solutions moins nocives. Elle est à ce titre logique.
Elle semble toutefois contestable, tant juridiquement que « sociétalement ».
Au niveau européen d’abord, l’interdiction crée une rupture d’égalité entre les exportateurs européens et une discrimination à rebours à l’encontre des acteurs français. Des délocalisations et des suppressions d’emplois sont donc à prévoir.
Elle apparaît également contradictoire avec l’article 28 du règlement européen (CE) n°1107/2009, dès lors qu’une autorisation de mise sur le marché d’un produit phyto n’est actuellement pas requise pour l’exportation vers un autre Etat Membre autorisant son utilisation ou vers un pays tiers.
Au niveau mondial ensuite, la France interdira la production et l’exportation de substances, comme le chlorpyrifos ou le fénitrothion, interdits en Europe mais utilisés dans la lutte contre les ravageurs comme le criquet pèlerin, dont l’invasion menace actuellement l’Afrique de l’Est d’une crise alimentaire.
Qui tranchera entre sécurité alimentaire et protection de l’environnement ? Le débat n’est donc pas clos et l’UIPP a d’ores et déjà annoncé étudier les voies de recours possibles.
Frédéric Saffroy, associé, Justine Clerc, avocat et Léa Bonnaffous, élève-avocat, au sein du département Conformité et affaires réglementaires d’Alerion.