CSR : des démarches RSE interpellées
Jacques Perotto et Maxime Hermès
Nous avons évoqué lors de nos précédentes chroniques le nouveau cadre règlementaire qui se met en place au niveau européen avec la Directive CSRD du 21 juin 2022 relative à l’évaluation de l’impact environnemental des activités des entreprises.
En France, la loi Pacte avait commencé à poser le principe qu’une société devait être gérée dans son intérêt social mais « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » et que ses statuts pouvaient préciser « une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » (article 1835 du Code civil). Cette loi a également créé le statut d’entreprise à mission, impliquant un contrôle externe des objectifs sociaux et environnementaux fixés dans les statuts.
La loi Climat du 22 août 2021 oblige les entreprises d’une certaine taille à des obligations d’analyse et de reporting sur l’impact de durabilité de leurs activités.
Cet encadrement réglementaire intervient dans un contexte dans lequel les démarches RSE initiées par les entreprises sont de plus en plus discutées et donc parfois discutables.
Des démarches RSE discutées : l’exemple des entreprises à mission
Les entreprises peuvent en effet se trouver rattraper par un contexte de contraintes économiques et financières et donc d’exigence de performance confronté à leurs engagements en matière de durabilité de leurs activités commerciales ou industrielles.
L’« affaire Danone » et la démission de son Président en mai 2021 illustre assez bien ce dilemme ; le départ d’Emmanuel Faber, motivé par une forte opposition à deux fonds d’investissement activistes, a eu un effet « ralentisseur » dans le processus d’adoption de la qualité d’entreprise à mission.
Quand la politique RSE devient un enjeu concurrentiel : les démarches RSE attaquées
Selon une étude d’HEC (Communiqué de presse HEC du 24 juin 2020), la communication de la stratégie RSE d’une entreprise et sa lisibilité à moyen ou long terme sont devenues des éléments structurants de la politique d’une entreprise auxquels certains fonds spéculatifs sont très attentifs ; ainsi, les entreprises qui auraient une communication financière explicite sur leur « business model » basé sur création de valeur à court terme verraient réduite la probabilité d’être attaqués par des fonds spéculatifs.
La raison en est simple : l’engagement par une société d’une démarche RSE substantielle constituerait un indicateur pour certains fonds spéculatifs peu scrupuleux selon lequel il existerait des dépenses inutiles (à leurs yeux), lesquelles, une fois supprimées, permettraient un accroissement significatif de leurs profits.
Pour diminuer ce risque, l’entreprise doit s’assurer au préalable du soutien et de la légitimité de ses démarches durables auprès de ses actionnaires.
Des démarches RSE dont l’évaluation est controversée
Les investissements ESG (Environnement/Social/Gouvernance) pèsent chaque année plus lourdement dans l’investissement global ; à titre d’exemple, les encours ESG sur les Exchange Traded Fund ont progressé de 122% en 2021sur le marché européen.
En mai 2022, l’agence de notation Standard & excluait Tesla de son indice ESG S&P 500 compte tenu de l’existence de plaintes notamment pour discrimination raciale contre l’entreprise et de l’opposition de la Direction à la création de syndicats.
Ces deux exemples illustrent la prise en compte exponentielle des critères ESG d’une part dans la part des investissements réalisés sur le marché européen et, d’autre part dans la notation et l’évaluation des entreprises et des produits financiers.
Toutefois, la multiplicité de ces mêmes critères d’évaluation (709 critères parmi 64 catégories utilisées par les agences de notation) et l’absence d’harmonisation des référentiels relativisent la pertinence des avis opérés quant à la réalité des démarches durables engagées par certaines entreprises ; une entreprise peut aussi améliorer son score ESG en vendant des actifs « non-conformes » à un autre propriétaire qui fait perdurer ladite activité, sans risquer de se voir stigmatisée aux yeux de l’opinion publique ou d’être sanctionnée financièrement dans certains cas.
Du Greenwashing au Purpose washing et au green-hushing
L’espace de liberté (« Soft law ») induit par l’absence de règles encadrant les démarches RSE des entreprises a incontestablement généré des élans favorables au développement durable.
Lorsque la RSE devient également un argument marketing, la tentation est forte pour l’entreprise de « verdir » son discours ou de pratiquer le « Social Washing », en mettant en avant certaines de ses actions en faveur des salariés qui peuvent cacher une réalité moins positive.
Une dérive tout aussi préoccupante consiste à afficher une « raison d’être », « une mission » ou un engagement social ou environnemental (« Purpose washing ») sans que cela ne soit sincère, effectif et transparent.
Des sanctions sont alors appliquées pour punir de tels comportements, nuisibles à la crédibilité globale des politiques RSE ; la pratique du « Name and Shame » consistant à assurer une activité médiatique négative à l’encontre des entreprises contrevenant aux engagements RSE, peut alors se révéler dissuasive, en particulier pour les entreprises à forte notoriété, dont certaines ont choisi de pratiquer le green-hushing en s’abstenant de toute communication quant à leurs progrès en matière d’actions envers le climat.
Nous évoquerons plus particulièrement dans notre prochaine Newsletter la question de la mise en cause de la responsabilité encourue par les entreprises défaillantes dans la mise en œuvre de leur politique RSE.
A suivre donc …
Jacques Perotto, Associé et Maxime Hermes, Counsel