COVID 19 – Ce qu’il faut retenir en matière civile de la prorogation par l’ordonnance du 25 mars 2020 des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire
Jacques Bouyssou et Arthur August
Conformément à la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, le Président de la République sur rapport du Premier ministre et de la garde des Sceaux, a rendu le 25 mars 2020 une Ordonnance n°2020-306 (ci-après l’« Ordonnance ») relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et l’adaptation des procédures pendant cette même période.
L’Ordonnance est composée d’un titre premier consacré aux dispositions générales relatives à la prorogation des délais et un second titre consacré aux délais et procédures en matière administrative – seul le premier titre, qui est notamment applicable pour les délais en matière de procédure civile, sera ici abordé.
Une circulaire du 26 mars 2020 (ci-après la « Circulaire ») du ministère de la Justice est venue préciser le champ d’application et le mécanisme de report des délais prévu par le titre premier de l’Ordonnance.
1. La prorogation des délais de procédure et d’accomplissement des actes et formalités prévus par la loi ou le règlement
L’article 2 de l’Ordonnance instaure un mécanisme de prorogation des délais qui a pour effet d’offrir un délai supplémentaire pour accomplir les actes et formalités et intenter les actions en justice et recours échus pendant la période de crise sanitaire.
1.1 Champ d’application de l’article 2 de l’Ordonnance
• Les actes et recours concernés
La Circulaire synthétise le champ d’application matériel du mécanisme de prorogation de l’article 2 de l’Ordonnance en énonçant que sont notamment concernées les situations suivantes :
– Les actes et formalités prescrits par la loi ou le règlement qui doivent être réalisés dans un délai déterminé et dont l’inexécution est sanctionnée par un texte (par exemple inscription aux fins de publicité sanctionnée par l’inopposabilité ou la nullité de l’acte ou de la formalité d’enregistrement) ;
– Les actions en justice, recours et actes de procédure qui doivent être réalisés dans un délai légalement déterminé à peine de sanction ; étant précisé que pour les délais de procédure, l’article 2 de l’ordonnance portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale renvoie à l’Ordonnance ;
– Les paiements prescrits par des dispositions législatives ou réglementaires en vue de l’acquisition ou la conservation d’un droit (par exemple paiement de la redevance auprès de l’INPI pour le dépôt d’un droit de propriété intellectuelle).
L’Ordonnance exclut de son champ d’application les situations suivantes :
– Les délais et mesures résultant de l’application de règles de droit pénal et de procédure pénale, ou concernant les élections régies par le code électoral et les consultations auxquelles ce code est rendu applicable ;
– Les délais concernant l’édiction et la mise en œuvre de mesures privatives de liberté ;
– Les délais concernant les procédures d’inscription dans un établissement d’enseignement ou aux voies d’accès à la fonction publique ;
– Les obligations financières et garanties y afférentes mentionnées aux articles L. 211-36 et suivants du code monétaire et financier ;
– Les délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci.
A cet égard, la Circulaire précise que l’ensemble des matières non exclues sont couvertes par ses dispositions, cela concerne notamment les délais prévus en matière commerciale qui n’auraient pas été spécifiquement adaptés par d’autres textes pris en application de la loi du 23 mars 2020.
Il convient de noter que, à l’exception des clauses visées par l’Ordonnance, les délais contractuellement prévus sont par principe exclus de l’Ordonnance qui réserve l’application de son mécanisme de report aux délais prévus par la loi ou le règlement.
• La période concernée : l’instauration d’une période juridiquement protégée
L’Ordonnance consacre une période dite « juridiquement protégée » (terme employé dans la Circulaire) qui vise les délais et mesures qui expirent ou ont expiré entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Pour rappel, la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 publiée le 24 mars 2020 au journal officiel a instauré un état d’urgence sanitaire à compter de sa publication pour une durée de deux mois, soit pour l’instant du 24 mars au 24 mai 2020.
Ainsi, la période juridiquement protégée s’étend pour l’instant du 12 mars au 24 juin 2020 (fin de la période de l’état d’urgence sanitaire augmenté d’un mois).
Cette période est susceptible d’être étendue si une nouvelle loi venait à étendre la période de l’état d’urgence sanitaire.
En ce qui concerne le champ d’application temporel de l’Ordonnance, il faut également retenir que :
– L’Ordonnance ne vise que les délais qui sont arrivés à échéance ou les actes qui devaient être accomplis pendant la période juridiquement protégée ;
– Les termes des actes antérieurs au 12 mars 2020 ne sont pas reportés ;
– Les délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant l’expiration de la cessation de l’état d’urgence sanitaire ne font l’objet d’aucun report.
1.2 Le mécanisme de prorogation des délais
L’article 2 de l’Ordonnance qui instaure le mécanisme de prorogation dispose que :
« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit. »
L’article 2 de l’Ordonnance instaure un mécanisme de report des délais des actes ou recours dont le terme ou la déchéance sont échus pendant la période juridiquement protégée.
L’Ordonnance ne prévoit pas d’interrompre ou de suspendre les délais échus pendant la période juridiquement protégée, ni de supprimer l’obligation de réaliser les actes et formalités dont le terme échoit pendant cette période, mais elle instaure un délai supplémentaire pour qu’ils ne soient pas considérés comme tardifs, lorsque qu’ils sont réalisés dans ce nouveau délai supplémentaire.
La Circulaire permet une meilleure compréhension du mécanisme de prorogation des délais en précisant ce qui suit :
« Ainsi, alors même qu’il est réalisé après la date ou le terme initialement prévu, l’acte peut, en vertu de l’article 2 de l’ordonnance, être régulièrement effectué avant l’expiration d’un nouveau délai égal au délai qui était initialement imparti par la loi ou le règlement, lequel recommence à courir à compter de la fin de la période juridiquement protégée définie à l’article 1er (c’est-à-dire à l’issue de la période d’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois).
Ce délai supplémentaire après la fin de la période juridiquement protégée ne peut toutefois excéder deux mois : soit le délai initial était inférieur à deux mois et l’acte doit être effectué dans le délai imparti par la loi ou le règlement, soit il était supérieur à deux mois et il doit être effectué dans un délai de deux mois. »
Deux cas de figure sont donc à différencier :
– Lorsque le délai initial est inférieur à deux mois : l’acte ou le recours devra être accompli dans ce délai initial à compter de la fin de la période juridiquement protégée.
Par exemple, si le délai légal d’un mois d’inscription d’un nantissement d’un fonds de commerce expire pendant la période juridiquement protégée, ce nantissement devra être inscrit dans le délai d’un mois à compter de la fin de la période juridiquement protégée.
– Lorsque le délai initial est égal ou supérieur à deux mois : l’acte ou le recours devra être accompli dans un délai de deux mois à compter de la fin de la période juridiquement protégée.
Par exemple, si une action se prescrit le 30 mars 2020 selon la prescription quinquennale de l’article 2044 du Code civil, le demandeur pourra toujours agir dans un délai de deux mois suivant la fin de la période juridiquement protégée sans que son action soit déclarée irrecevable en raison de la prescription.
Un point d’attention doit être apporté à cette deuxième situation, si le délai initial était supérieur à 2 mois, l’acte ou le recours devra tout de même être accompli dans un délai de deux mois suivant la fin de la période juridiquement protégée.
2. Prorogation des mesures administratives ou juridictionnelles
L’Ordonnance prévoit également une prorogation de mesures administratives ou juridictionnelles en son article 3 qui dispose que :
« Les mesures administratives ou juridictionnelles suivantes et dont le terme vient à échéance au cours de la période définie au I de l’article 1er sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de cette période :
1° Mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ;
2° Mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ;
3° Autorisations, permis et agréments ;
4° Mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;
5° Les mesures d’aide à la gestion du budget familial.
Toutefois, le juge ou l’autorité compétente peut modifier ces mesures, ou y mettre fin, lorsqu’elles ont été prononcées avant le 12 mars 2020. »
En matière de contentieux civil, il faut notamment retenir que les mesures d’enquêtes, de conciliation ou de médiation sont arrêtées pendant la crise sanitaire, et qu’à la fin de la période juridiquement protégée, ces mesures seront prorogées de plein droit pour un délai de deux mois sans qu’il y ait besoin de solliciter du juge une prorogation de délais.
3. Le sort des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance
L’article 4 de l’ordonnance prévoit que :
« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er.
Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme.
Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er. »
Aux termes de cet article, il convient donc de distinguer :
– Les clauses ayant pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé (astreinte, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéances), qui sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit d’effet si ce délai a expiré pendant la période juridiquement protégée. Elles prendront effet un mois après cette période en cas d’inexécution du débiteur.
Par exemple, un contrat devant être exécuté le 30 mars 2020 contenant une clause résolutoire en cas d’inexécution à cette date. Si l’un des cocontractants ne s’exécute pas à cette date, la clause résolutoire ne produira pas son effet dans la mesure où elle intervient pendant la période juridiquement protégée. En revanche, la clause produira son effet, si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté dans un délai d’un mois suivant la fin de la période juridiquement protégée.
– Les clauses pénales et astreintes qui avaient commencé à courir avant le début de la période juridiquement protégée et dont le cours est suspendu jusqu’à la fin de la période juridiquement protégée.
Par exemple, un contrat devant être exécuté le 10 mars 2020 contenant une clause pénale prévoyant une sanction financière par jour de retard. En cas d’inexécution du débiteur, la clause pénale a pris effet avant la période juridiquement protégée. Cette clause pénale courait avant le 12 mars 2020, son cours est suspendu pendant la période juridiquement protégée et reprendra son effet dès la fin de cette période.
4. Le sort des contrats renouvelables par tacite reconduction ou résiliable dans une période déterminée
L’article 5 de l’Ordonnance prévoit que :
« Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période. »
Cet article offre donc un délai supplémentaire de deux mois à la fin de la période juridiquement protégée pour pouvoir résilier ou dénoncer une convention lorsque le délai offert à une partie pour résilier ou s’opposer au renouvellement du contrat expire pendant la période juridiquement protégée.
Par exemple, un contrat conclu le 20 avril 2019 d’une durée d’un an prévoit une clause de tacite reconduction sauf si l’une des parties adresse une notification un mois avant le terme du contrat. Dans ce cas, chaque partie ayant la faculté de s’opposer au renouvellement du contrat avant le 20 mars 2020, ce délai expirant pendant la période juridiquement protégée, les cocontractants pourront encore s’opposer à la tacite reconduction dans le délai de deux mois suivants la fin de la période juridiquement protégée.
Jacques Bouyssou, Associé et Arthur August, Avocat en Contentieux, Arbitrage et Pénal des affaires.