COVID-19 – Le point sur les règles d’urgence en droit des sociétés
Pierre-Olivier Brouard, Christophe Gerschel, Vincent Poirier et Antoine Rousseau
Deux ordonnances n°2020-318 et n°2020-321 du 25 mars 2020 prises en application de la loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020 habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnance apportent eu égard au contexte exceptionnel de la pandémie en cours de covid-19 des aménagements et dérogations substantiels aux textes en vigueur en matière de convocation et de tenue des réunions des assemblées et des organes de gouvernance des personnes morales.
Qui sont les personnes morales concernées ?
Toutes les personnes morales de droit privé sont concernées y compris celles dépourvues de personnalité juridique. Sont donc concernées : toutes les sociétés civiles et commerciales, cotées ou non cotées, les masses de porteurs de valeurs mobilières, les sociétés d’assurance ou encore les associations type « loi 1901 » et les fonds de dotation. A noter que les ordonnances ne s’appliquent pas aux établissements publics qui sont régis par leurs statuts respectifs lesquels répliquent souvent (notamment les EPIC) un mode de fonctionnement proche des sociétés anonymes de droit privé. Cela fera l’objet d’une autre ordonnance spécifique.
Quelle période est visée ?
L’ordonnance n°2020-321 s’applique aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction tenues à compter du 12 mars 2020 (elle a donc de ce point un effet rétroactif) et jusqu’au 31 juillet 2020 (sauf prorogation décidée par décret mais pas au-delà du 30 novembre 2020).
Quelles sont les mesures dérogatoires concernant les convocations des assemblées générales et le droit à l’information ?
Aucune disposition spécifique n’est indiquée pour les sociétés non cotées, de sorte qu’il conviendra de poursuivre sur le même mode de convocation que celui prévu par les statuts ou les règles impératives applicables tout en bénéficiant pour la tenue des assemblées elles-mêmes des aménagements prévus par l’ordonnance.
Pour les sociétés cotées, il est prévu que lorsque l’entité est tenue de convoquer par voie postale (actionnaires au nominatif notamment), « aucune nullité de l’assemblée n’est encourue du seul fait qu’une convocation n’a pas pu être réalisée par voie postale en raison de circonstances extérieures à la société ». C’est donc par le biais d’une absence de sanction d’une irrégularité de la convocation que le gouvernement a choisi de traiter le sujet. Les motifs de l’ordonnance précisent que « Ces circonstances extérieures recouvrent notamment l’hypothèse dans laquelle les sociétés mentionnées audit article – ou leurs prestataires – ont été empêchées d’accéder à leurs locaux ou de préparer les convocations nécessaires, dans le contexte de l’épidémie de covid-19 ».
Concernant le droit à l’information, l’article 3 du décret qui ratisse large et vise toutes les formes de droit à l’information autorise les personnes morales concernées à répondre à une telle demande par message électronique sous réserve que le demandeur indique l’adresse électronique à laquelle elle peut être faite.
Quelles sont les mesures dérogatoires en matière de réunion et de délibération des assemblées ?
Lorsque l’assemblée est convoquée dans un « lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion » par une mesure restreignant les rassemblements collectifs (ce qui est le cas depuis le 13 mars 2020 pour les rassemblements de plus de 100 personnes sur tout le territoire national et pour tout rassemblement depuis l’entrée en vigueur du confinement le 17 mars 2020), l’organe compétent (par exemple, le gérant de la société civile ou de la SARL, le conseil d’administration de la SA ou le président de la SAS, sauf dispositions statutaires spécifiques) peut décider qu’elle se tiendra sans présence physique des participants (en ce compris les associés, les commissaires aux comptes et toute personne pouvant en principe assister à l’assemblée).
Peuvent alors être utilisés tous les autres moyens de participation prévus par les textes en vigueur comme l’envoi d’un pouvoir, le vote par correspondance et si l’organe compétent le décide sur le fondement de l’ordonnance précitée, par voie de visioconférence ou de télécommunication, ou de consultation écrite (ce dernier mode étant utilisable lorsque la loi le prévoit pour le type d’entité considérée sans pour autant que les statuts ou le contrat d’émission n’ait à le prévoir). Sont alors réputés présents pour le calcul du quorum et de la majorité, les membres des assemblées qui participent par une conférence téléphonique ou audiovisuelle permettant leur identification et des moyens techniques transmettant au moins la voix des participants de manière « continue et simultanée ».
Certains droits s’en trouveront forcément affectés comme le droit de poser des questions orales (encore que l’on puisse imaginer de maintenir ce droit lorsque les « assemblées virtuelles » ne réuniront que peu de membres ou de modifier les résolutions en séance dans les sociétés anonymes) mais d’autres restent inchangés comme le droit de poser des questions écrites ou de demander l’inscription de résolutions à l’ordre du jour.
Que faire si les convocations ont déjà été envoyées ?
L’ordonnance autorise l’organe compétent pour convoquer à informer les participants par tous moyens permettant d’assurer leur information effective 3 jours ouvrés au moins avant la date de l’assemblée (sans préjudice des formalités qui restent à accomplir à la date de cette décision) de la nouvelle modalité choisie pour la « réunion ». Le texte n’étant pas plus précis, on peut imaginer que le courrier électronique sera admis mais encore faut-il que l’organe compétent dispose des adresses emails de tous les participants. La modification du mode de consultation est une simple information et ne nécessite pas de renouveler formellement les convocations.
A noter que par exception, les sociétés cotées qui ont déjà initié leur processus de convocation de leur assemblée annuelle (publication au BALO de l’avis de réunion par exemple), peuvent informer leurs actionnaires des nouvelles modalités de « réunion » dès que possible par voie de communiqué dont la diffusion effective et intégrale est assurée par la société. L’expression « dès que possible » semble déroger au délai de 3 jours ouvrés prévu au I de l’article 7 de l’ordonnance mais étant donné la mauvaise qualité rédactionnelle du texte, il serait prudent d’appliquer également le délai susmentionné de 3 jours ouvrés dans le cas des sociétés cotées.
Qu’est-il prévu concernant les organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction ?
Les organes des entités concernées peuvent désormais (sans que leurs statuts ne puissent s’y opposer ou que leur règlement intérieur n’ait à prévoir une règle particulière) :
– tenir leur réunion sans présence physique quel que soit le sujet. Sont réputés présents à ces réunions les membres qui participent au moyen d’une conférence téléphonique ou audiovisuelle permettant leur identification et garantissant leur participation effective avec transmission au minimum de la voix en continu et simultané ;
– choisir de délibérer par voie de consultation écrite « dans des conditions assurant la collégialité de la délibération ».
Est-il prévu de permettre le report des AG d’approbation des comptes annuels au-delà de six mois après la clôture de l’exercice ?
Oui. L’ordonnance n°2020-318 prévoit effectivement un report de 3 mois du délai donné aux personnes morales de droit privé pour approuver leurs comptes annuels ou pour convoquer l’assemblée chargée de cette approbation. A noter que cette prorogation ne s’applique pas aux entités concernées dont le commissaire aux comptes a déjà émis son rapport sur les comptes à la date du 12 mars 2020. Des prorogations de 3 mois pour la présentation des documents afférents aux comptes annuels par le directoire au conseil de surveillance de la SA et de 2 mois pour l’établissement des documents de gestion prévisionnelle par les sociétés passant les seuils réglementaires sont également prévus.
Quelles recommandations pour les « réunions » à venir ?
Pour ceux qui choisiront de recourir aux modes alternatifs de réunion prévus par l’ordonnance, il convient de prévoir et de faire connaitre aux participants les règles de connexion (adresse et modalités techniques, délai raisonnable pour se connecter, vérification par l’organe convocateur des personnes présentes avec confirmation à la voix que ce sont bien elles et qu’elles participent, etc.). Il faut ensuite correctement documenter dans les procès-verbaux la mention du recours à ces modes alternatifs, rappeler le contexte et la raison pour laquelle ils sont utilisés.
Pierre-Olivier Brouard, Christophe Gerschel, Vincent Poirier et Antoine Rousseau, associés en droit des sociétés.