COVID-19 et force majeure
Catherine Robin, Frédéric Saffroy et Nathalie Dupuy-Loup
La force majeure est une notion complexe qui doit être appréciée au cas par cas pour pouvoir exonérer un cocontractant de son inexécution contractuelle.
Le Covid-19 n’est pas automatiquement un cas de force majeure.
Qu’est-ce que la force majeure en droit du contrat ?
Un événement de force majeure est un évènement (article 1218 du Code civil qui reprend les principes jurisprudentiels fixés avant la réforme du droit des contrats) :
– qui échappe au contrôle du débiteur de l’obligation contractuelle,
– ne pouvait pas être raisonnablement prévu à la date de conclusion du contrat,
– dont les effets ne peuvent pas être évités par des mesures appropriées,
– qui empêche l’exécution de l’obligation concernée.
C’est au débiteur de l’obligation de rapporter la preuve de la réunion de ces éléments, étant entendu que ces critères sont d’appréciation stricte par la jurisprudence.
Le contrat peut-il déroger à cette définition ?
Oui, les dispositions relatives à la force majeure ne sont pas d’ordre public. Les parties peuvent librement déterminer :
– les événements de force majeure concernés,
– la procédure contractuelle à respecter en cas de survenance d’un cas de force majeure ;
– les effets de l’événement de force majeure (suspension du contrat, concertation des parties, cessation du contrat …)
Notre conseil : se référer au contrat en cause pour vérifier si une clause de force majeure a été stipulée et en appliquer les termes.
Qu’en est-il en l’absence de contrat écrit ou de clause de force majeure ?
En droit français, la force majeure peut être invoquée, même si elle n’est pas stipulée expressément, de sorte que :
– Dans les contrats soumis au droit français, chacune des parties peut se prévaloir de la force majeure et de ses effets sur le fondement du code civil.
– Dans les contrats de vente internationale de marchandises conclus entre une société française et une société étrangère, soumis au droit français, la convention de Vienne prévoit en son article 79, une disposition analogue à celle du code civil.
– S’agissant des contrats soumis à un droit étranger, il convient de se reporter aux dispositions de ce droit.
A quelle date s’apprécie la force majeure ?
Le caractère imprévisible et irrésistible de la force majeure est apprécié au regard de la date de conclusion du contrat…
– Pour un contrat à exécution successive ou un contrat instantané : la date de signature du contrat ;
– Pour un contrat cadre (fourniture distribution …) qui donne lieu à contrats d’application (bons de commande, ordres de service ou autres) : la date de conclusion du contrat d’application.
… et de la date de l’événement, en fonction de l’obligation inexécutée concernée.
Plusieurs dates sont envisageables, telles que par exemple :
– La réunion du Comité d’urgence du Règlement sanitaire international de l’OMS le 23 janvier 2020 concernant la flambée du coronavirus en Chine ou celle du 11 mars 2020 / 13 mars 2020 pour l’Union européenne ;
– La déclaration de Bruno Le Maire le 28 février 2020 reconnaissant un cas de force majeure pour les marchés publics ;
– le décret le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, etc.
Dans quelles conditions un événement est-il irrésistible ?
Seul l’événement qui met le cocontractant dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations est pris en compte. La possibilité de recourir à d’autres mesures, même plus onéreuses, s’oppose à la qualification de force majeure. Les tribunaux se livreront à une appréciation au cas par cas.
Quels sont les effets de la force majeure ?
Si le débiteur est empêché d’exécuter son obligation de façon définitive , le contrat est résolu automatiquement et chaque partie est déchargée de ses obligations (solution à nuancer en fonction de la date du contrat et de son contenu).
Si l’empêchement du débiteur est temporaire, son obligation est simplement suspendue, à moins que le retard qui en résulte justifie la résolution du contrat.
Attention ! L’épidémie et les mesures gouvernementales n’exonèrent pas automatiquement les cocontractant de leurs obligations. Ainsi, par exemple, si une prestation a été effectivement rendue, que ce soit avant, pendant ou après l’événement de force majeure, ce dernier n’exonère pas de l’obligation de payer la facture correspondante.
Est-il possible d’aménager ou de renégocier le contrat ?
Contrats conclus avant le 1er octobre 2016 : oui, mais seulement si cela est prévu par une clause (clause de hardship ou d’imprévision). A défaut, les parties au contrat doivent trouver un accord.
Contrats conclus après le 1er octobre 2016 : oui, en application de l’article 1195 du Code civil qui permet au cocontractant de demander à l’autre partie une renégociation du contrat. En cas d’échec, le juge peut être saisi afin de réviser les termes contractuels ou mettre fin au contrat. Ce mécanisme légal, dit de l’imprévision, peut toutefois avoir été écarté ou aménagé par les parties dans le contrat.
Est-il possible de faire jouer sa police d’assurance ?
Si l’épidémie de Covid-19 peut être considérée comme un cas de force majeure ayant empêché, ou suspendu, l’exécution du contrat, la responsabilité du débiteur de l’obligation ne pourra pas être engagée par son contractant, et sa garantie d’assurance responsabilité civile professionnelle ne sera pas mobilisable.
Pour les pertes financières subies par le débiteur de l’obligation qui, déchargé de son obligation, n’en percevra pas la contrepartie, la vérification de la couverture d’assurance s’impose. Il conviendra alors d’analyser si l’épidémie peut être considérée comme un risque assuré susceptible de déclencher une garantie couvrant les pertes financières consécutives (pertes d’exploitation, rupture de la chaîne d’approvisionnement, annulation d’événements, défaut de livraison…), et si cette garantie n’est pas exclue, notamment en l’absence de dommage matériel, ou lorsque la perte trouve son origine dans une décision des autorités administratives.
Conseils pour le cocontractant empêché :
– Evaluer l’événement et vérifier qu’il réunit tous les caractères de la force majeure: les déclarations de l’épidémie et les mesures gouvernementales ne sont pas suffisantes ;
– Collecter les preuves de l’impossibilité d’exécuter ;
– Discuter et convenir avec l’autre partie (i) des mesures de nature à réduire le préjudice au maximum, et (ii) des conditions d’exécution.
Conseils pour les autres parties :
– Mettre en demeure d’exécuter ;
– Discuter et convenir avec l’autre partie (i) des mesures de nature à réduire le préjudice au maximum, et (ii) des conditions d’exécution ;
– Etablir les preuves de la possibilité d’exécuter le cas échéant en ayant recours à des moyens plus onéreux, ou du caractère temporaire de l’empêchement d’exécuter.
Catherine Robin, Frédéric Saffroy et Nathalie Dupuy-Loup (pour la partie Assurance).