Covid-19 et contrats : le temps suspendu 2. L’équité au prix de la complexité
Frédéric Saffroy, Catherine Robin, Justine Clerc et Jeanne Quéneudec
La nouvelle ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 relative aux délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 modifie l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 régissant la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et, notamment, son article 4 relatif aux contrats, en introduisant un mécanisme glissant plus subtil.
Rappelons que le gouvernement a souhaité protéger les acteurs économiques pendant la période d’urgence sanitaire, tout en assurant la sécurité juridique, notamment dans les contrats. A ce titre, il a été créé une « période juridiquement protégée » du 12 mars au 24 juin 2020.
L’ordonnance du 25 mars 2020 ayant provoqué des critiques et présentant des difficultés d’interprétation, la nouvelle est venue apporter des précisions et modifier certains aspects.
1. Seules les astreintes, les clauses pénales, résolutoires ou de déchéance font l’objet d’aménagements des délais contractuels
Cette ordonnance confirme que seules les astreintes, les clauses pénales, résolutoires ou de déchéance, qui ont vocation à protéger une partie en cas d’inexécution de ses obligations par l’autre partie dans les délais contractuellement prévus (ex. une livraison, une échéance), sont concernées par les dispositions de l’ordonnance.
Toutes les autres clauses du contrat continuent à s’appliquer dans les conditions initialement convenues par les parties. Tel est le cas des obligations de paiement, qui ne font pas l’objet d’aménagement particulier. Comme le rappelle le rapport au Président de la République : « Le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat ».
2. Le report par « glissement » de la date d’effet des clauses à l’issue de la période juridiquement protégée
Dans sa version initiale, l’ordonnance prévoyait un report unique, fixée à un mois à compter de la fin de la période juridiquement protégée, soit à ce jour le 24 juillet 2020.
Afin de ne pas accorder plus de droits au débiteur d’une obligation inexécutée qu’il n’en disposait contractuellement, l’ordonnance oblige désormais à calculer la prise d’effet de ces clauses en référence à la « durée d’exécution du contrat qui a été impactée (sic) par les mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire » [1].
Cette règle plus complexe oblige à mettre en œuvre les principes de computation des délais [2], à savoir :
– Le jour de départ est le jour suivant l’acte, l’événement, la décision ou la notification qui fait courir le délai au regard de la loi ;
– Le dernier jour compte entièrement dans le délai (jusqu’à minuit, c’est-à-dire jusqu’à 23h59 inclus) ;
– Si le délai obtenu après calcul se termine un samedi, un dimanche ou un jour férié, le délai est prolongé jusqu’au premier jour ouvrable suivant.
a. Si le délai expire pendant la période juridiquement protégée (entre le 12 mars et le 24 juin 2020), son point de départ sera reporté après la fin de cette période augmentée du temps écoulé entre le 12 mars 2020 (ou si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née) et la date à laquelle l’obligation aurait dû être exécutée. L’ordonnance prévoit donc le glissement, après le 24 juin 2020, du laps de temps qui restait à courir jusqu’à la prise d’effet de la clause. [3]
Exemple : En cas d’inexécution d’une obligation née le 2 mars, une clause résolutoire devait prendre effet le 16 mars. La durée de 4 jours restant à courir (entre le 12 mars, début de la période juridiquement protégée, et le 16 mars, date de prise d’effet de la clause) est reportée à partir du 25 juin 2020 compris. La clause prendra donc effet le 29 juin 2020, si l’obligation n’est pas exécutée le 28 juin 2020 à minuit.
b. Si le délai expire après la période juridiquement protégée (après le 24 juin 2020), les astreintes ne courront ou les clauses ne prendront effet qu’à la date prévue par le contrat augmentée d’une durée égale à la période juridiquement protégée (soit 3 mois et 12 jours entre le 12 mars et le 24 juin 2020). Toutefois, si la date à laquelle l’obligation est née est postérieure au 12 mars, la durée de cette période glissante est calculée à compter de cette date seulement et non celle du 12 mars. [4]
Exemple : Un contrat de travaux est signé avant le 12 mars 2020. La livraison du bâtiment est prévue le 10 juillet 2020 avec une astreinte à compter de cette date. L’astreinte ne prendra effet qu’à compter du 10 juillet 2020 + 3 mois et 12 jours, soit le 23 octobre 2020. Si le même contrat est conclu le 10 avril 2020, soit pendant la période juridiquement protégée, la période reportée ne sera pas comptée à partir du 12 mars mais à compter du 10 avril, soit 2 mois et 14 jours qui est la seule période sur laquelle la crise sanitaire a un effet. L’astreinte courra à compter du 25 septembre 2020.
Aucun aménagement n’est prévu pour les astreintes et clauses sanctionnant l’inexécution d’une obligation de paiement. Le gouvernement estime en effet que « l’incidence des mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire sur la possibilité d’exécution des obligations de somme d’argent n’est qu’indirecte et, passé la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs ont vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délai de grâce, procédure collective, surendettement) » [5].
Enfin, les règles concernant l’astreinte ou la clause pénale qui aurait pris effet avant le 12 mars 2020 (quel que soit le type d’obligation concerné) ne sont pas modifiées par l’ordonnance rectificative : leur effet est suspendu jusqu’à la fin de la période juridiquement protégée. Leur cours reprendra normalement à compter du 25 juin 2020.
Exemple : le contrat prévoit une astreinte à compter du 1er mars 2020. Les pénalités s’appliquent pour la période du 1er mars au 11 mars 2020 inclus. Elles sont suspendues du 12 mars au 24 juin 2020 inclus, et sont de nouveau décomptées à partir du 25 juin 2020.
3. Les aménagements contractuels à convenir entre les parties
Pour toutes les autres clauses du contrat (lieux et délais d’exécution, qualité, disponibilité, paiement, délai de livraison, etc.), le contrat demeure la loi des parties et les règles du droit des contrats s’appliquent : force majeure, imprévision, etc.
Afin de préserver des relations commerciales qui devront nécessairement reprendre, dans des conditions qu’il est aujourd’hui difficile d’anticiper, à l’issue de la période d’urgence sanitaire, il est fortement recommandé que les parties parviennent à s’entendre sur des aménagements contractuels qui aident à surmonter cette période difficile et préserve l’avenir de la relation.
Le gouvernement y incite les acteurs économiques qui peuvent renoncer d’un commun accord à l’application du dispositif de report et convenir des aménagements différents des effets de la crise sanitaire sur les conditions d’exécution de leur contrat (cf. Rapport au Président précité).
Les équipes Droit commercial et Conformité & Affaires règlementaires d’Alerion sont à votre disposition pour vous assister dans l’analyse de votre situation :
Catherine Robin, Associée
Frédéric Saffroy, Associé
Justine Clerc, Collaboratrice
Jeanne Quéneudec, Collaboratrice
[1] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19..
[2] Articles 640 à 647-1 du Code de procédure civile.
[3] Article 4, alinéa 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 modifiée.
[4] Article 4, alinéa 3 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 modifiée.
[5] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19.