Contrôle des investissements étrangers : les premières lignes directrices du Trésor
Frédéric Saffroy et Alice Bastien
La direction générale du Trésor (« DGT ») a publié ses premières lignes directrices destinées à aider les investisseurs et leurs conseils pour la mise en œuvre du dispositif de contrôle des investissements étrangers.
Ces lignes directrices présentent le champ d’application de ce contrôle, y compris ses notions clés, le déroulement de la procédure et le suivi des autorisations délivrées par le ministre chargé de l’Economie.
1. Précisions sur la notion d’investisseur étranger
Un investisseur étranger est une personne physique de nationalité étrangère, une personne physique (même de nationalité française) non-résidente fiscalement en France ou une personne morale (entité) de droit étranger, quelle que soit sa forme juridique ou sa localisation (y compris les fonds et les véhicules d’investissement).
La DGT a précisé que toutes les personnes et entités membres d’une même chaîne de contrôle (telle que définie par l’article L. 233-3 du Code de commerce) sont des investisseurs au titre de la règlementation. Le contrôle s’applique donc dès qu’un seul membre de la chaine de contrôle est étranger, même si l’investisseur ultime contrôlant l’ensemble de la chaine est une entité ou une personne française.
Les fonds d’investissements peuvent être des investisseurs étrangers, indépendamment de leur société de gestion. Les lignes directrices indiquent que l’analyse de la chaîne de contrôle des fonds d’investissement s’opère au cas par cas et doit tenir compte de la spécificité de chaque structure et du mode de gestion du fonds. De plus, ne sont pas exemptés d’autorisation le transfert de la participation dans une entité d’un fonds d’investissement à un autre fonds qui serait contrôlé par la même société de gestion, dès lors que cette société ne détient pas plus de 50% du capital ou des droits de vote de ces deux fonds.
2. Eclaircissements sur les différentes formes d’investissement
Les opérations d’investissements sont diverses et la règlementation n’en dresse pas la liste. Seules les opérations réalisées par un investisseur étranger avec des entités exerçant des activités sensibles nécessitent une autorisation préalable.
En revanche, les opérations d’investissement dans les succursales françaises de sociétés étrangères ne sont pas soumises au contrôle, car ces succursales ne sont pas considérées comme des cibles françaises.
La DGT confirme que les investissements « greenfield » – correspondant à la création d’une entité en France par un investisseur étranger, pour développer une activité dans ce pays – ne sont pas soumis au contrôle des investissements étrangers.
En outre, l’acquisition d’une partie d’une branche d’activité, soumise à contrôle (voir §3. ci-dessous), peut s’entendre de l’acquisition directe ou indirecte d’un portefeuille de contrats sensibles, d’un nombre significatif de droits de propriété intellectuelle (y compris des logiciels ou du savoir-faire) ou encore de matériels, véhicules, mobiliers ou équipements nécessaires à l’exploitation de la branche d’activité.
3. Les activités dites « sensibles »
Les lignes directrices rappellent les trois types d’activités dites « sensibles » :
(i) Les activités énumérées à l’article R. 151-3, I du Code monétaire et financier (« CMF ») sont éligibles par nature (éligibilité dite « objective »).
(ii) Les activités de nature à porter atteinte aux intérêts de la défense nationale, à l’ordre public, ou participant à l’exercice de l’autorité publique (article R. 151-3, II CMF) font l’objet d’un « test de sensibilité » pour caractériser leur caractère essentiel. Parmi les indices retenus figurent les clients de la cible, la nature, la spécificité et les applications des produits ou prestations de services fournies ou encore le savoir-faire, la substituabilité des activités ou leur dangerosité.
(iii) Les activités de recherche et développement (« R&D ») sont éligibles lorsqu’elles sont destinées à être mises en œuvre dans une des activités des paragraphes précédents (article R. 151-3, III CMF).
La détermination de la sensibilité de l’activité est donc réalisée au cas par cas (voir le rappel ci-dessous). Les cibles réalisant des activités de sous-traitance ou de fourniture au profit d’un opérateur d’importance vitale (« OIV ») sont fortement présumées sensibles. Toutefois, la liste des OIV étant protégée par le secret de la Défense nationale, la DGT ne pourra pas répondre à une demande de confirmation ou d’infirmation de la présence d’un OIV parmi les clients de la cible française.
4. Dérogations à l’obligation d’autorisation : les opérations intra-groupes
Les investisseurs étrangers sont dispensés de demande d’autorisation lorsque l’investissement est réalisé entre des entités appartenant toutes au même groupe, au sens de l’article L. 233-1 du Code de commerce.
Cependant, un simple lien de contrôle d’un actionnaire sur différentes entités n’est pas suffisant, car il n’implique pas la détention de plus de 50% du capital ou des droits de vote. Similairement, si 50% du capital ou des droits de vote d’entités sont détenus par plusieurs actionnaires agissant de manière conjointe, l’investissement n’est pas exempté de demande d’autorisation.
Rappels des principes applicables aux investissements étrangers
Quel que soit le montant de l’opération, tout investissement – direct ou indirect – réalisé par acquisition d’actions (prise de contrôle ou, pour les investisseurs hors EEE, acquisition de plus de 25 % – ou, jusqu’au 31 décembre 2022[1], de 10% si la société cible est cotée en bourse – des droits de vote de la société cible) ou acquisition d’un fonds de commerce ou d’actifs (tout ou partie d’une branche d’activité d’une société) d’une entreprise française sensible est soumis à autorisation préalable du ministre de l’Économie, sous peine de nullité et de lourdes sanctions financières.
Depuis le 11 octobre 2020[2], les investissements étrangers doivent également faire l’objet d’une notification à la Commission européenne et aux autres États membres. Ce mécanisme de filtrage permet de renforcer la protection des activités et actifs essentiels de l’Union et de coordonner les réponses apportées aux investisseurs. En 2021, un peu plus de 1 500 dossiers ont ainsi été notifiés. Près de 73% des dossiers analysés ont été autorisés. 23% ont été autorisés sous conditions, 3% ont été abandonnés et seul 1% a été refusé[3].
Les secteurs contrôlés comprennent, pour les investisseurs européens et non européens, (i) les activités de nature à porter atteinte aux intérêts de la défense nationale, de l’ordre public ou de la sécurité publique (matériels de guerre et assimilés, biens à double usage, dépositaires du secret de la défense nationale, sécurité des systèmes d’information, cryptologie, stockage de données sensibles…) ou (ii) les mêmes activités lorsqu’elles portent sur des infrastructures, biens ou services essentiels (énergie, eau, transports, opérations spatiales, communications, intégrité, sécurité et continuité d’un opérateur d’importance vitale, santé publique, produits agricoles, presse) et (iii) les activités de R&D dans les secteurs précités et liées aux technologies critiques définies dans l’arrêté du 31 décembre 2019 (dont la cybersécurité, la robotique, l’impression 3D, le stockage d’énergie ou les énergies renouvelables), ainsi qu’aux biens et technologies à double usage.
Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à contacter l’équipe Conformité et Affaires réglementaires.
Frédéric Saffroy, Avocat Associé, et Alice Bastien, Avocat.