Le contentieux commercial de l’urgence face à la crise du Covid-19

05 mai 2020
Jacques Bouyssou et Karadeg Coeffic

La crise liée à la pandémie du Covid-19 se traduit, dans la sphère judiciaire par une paralysie quasi-totale des tribunaux, le traitement des dossiers étant limité par la chancellerie aux contentieux essentiels.

Cette période frappe de plein fouet l’activité économique.

Si les contrats conclus continuent de produire leurs effets sous réserve des aménagements mis en place par l’Ordonnance n°2020/306 du 25 mars 2020 [1] et l’Ordonnance n°2020/427 du 15 avril 2020 [2], le confinement et la crise sans précédent qui en découle bouleversent la vie des affaires et les équilibres des relations commerciales. Les difficultés qui naissent de cette situation menacent des projets et des entreprises et requièrent souvent des solutions urgentes.

Face aux restrictions imposées à l’activité judiciaire par la situation sanitaire et -il faut le dire- le manque de moyens de la justice, les acteurs de la vie économique se demandent comment trouver une solution à leurs difficultés dans les délais requis pas la gravité de la situation. Cela concerne les contentieux naissant pendant la période du confinement comme ceux qui apparaîtront dans la période qui suivra.

Les outils procéduraux prévus par le Code de procédure civile permettent de répondre à ces situations d’urgence pendant le confinement ou, lorsque les conditions ne sont pas réunies, de saisir le juge dès le retour à une activité judiciaire normale en vue d’avoir une décision dans un délai rapide.

Le référé d’heure à heure pour obtenir une décision provisoire

La procédure de référé permet de demander des mesures provisoires selon un calendrier plus rapide que la procédure au fond.

Si le cas requiert célérité, le juge des référés peut permettre d’assigner, à heure indiquée, même les jours fériés ou chômés, selon la procédure dite du référé d’heure à heure [3].

Ainsi, alors que la procédure de référé classique aboutit à une décision dans un délai généralement compris entre un et six mois, le référé d’heure à heure permet d’obtenir une Ordonnance dans un délai qui peut être inférieur à une semaine.

Cette procédure d’urgence ne peut être mise en œuvre que dans les cas les plus graves et les plus urgents. Le référé d’heure à heure étant une procédure exceptionnelle, le demandeur doit se faire autoriser à assigner par le président du tribunal qui aura à trancher l’affaire en lui présentant par voie de requête un exposé détaillé de l’urgence de la situation.

L’article 796-1 du code de procédure civile prévoit que la requête doit être présentée par voie électronique, ce qui est heureux dans le contexte du confinement.

A ce stade, le demandeur visant exclusivement à se faire autoriser à assigner sans respecter les délais de rigueur, le défendeur -la partie visée par la mesure- n’est pas averti de l’engagement de cette demande et ne peut pas faire valoir ses arguments auprès du président pour s’y opposer.

Dans le contexte du confinement, les juges devraient apprécier le caractère urgent de la demande avec une particulière attention.

A cet égard, l’Ordonnance 2020/304 du 25 mars 2020 [4] prévoit qu’en cas d’assignation en référé, « la juridiction statuant en référé peut rejeter la demande avant l’audience, par ordonnance non contradictoire, si la demande est irrecevable ou s’il n’y a pas lieu à référé ».

S’il considère que l’urgence est caractérisée, le président autorise le demandeur à assigner d’heure à heure la partie adverse et fixera une date d’audience plus ou moins rapprochée en fonction du degré d’urgence (la date peut être fixée un jour férié ou un jour chômé).

Une fois l’autorisation obtenue, le demandeur doit faire assigner son adversaire en vue de l’audience fixée par le président du tribunal compétent.

A l’audience, le juge vérifie qu’il s’est écoulé un délai suffisant depuis l’assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense [5].

Par une décision qui peut être rendue le jour même ou le lendemain de l’audience, le juge a la possibilité d’ordonner notamment :

– Des mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige ;

– Des mesures conservatoires ou de remise en état pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. A titre d’illustration, il pourra s’agir de la désignation d’un administrateur judiciaire pour une personne morale ou de la désignation d’un séquestre ;

– L’exécution d’une obligation contractuelle.

L’Ordonnance de référé pourra être exécutée immédiatement, même si la partie adverse fait appel.

Le juge pourra cependant subordonner l’exécution provisoire à la constitution d’une garantie par le demandeur à la procédure.

La procédure de référé permet de répondre au besoin d’urgence et de prendre des mesures provisoires mais elle ne permet pas d’obtenir une décision au fond, tranchant définitivement le litige et assortie de l’autorité de la chose jugée.

L’assignation à jour fixe ou à bref délai pour obtenir une décision au fond

Lorsque les mesures permises par le référé ne sont pas suffisantes, il est nécessaire d’obtenir une décision de justice sur la totalité du litige.

Dans cette hypothèse, deux procédures similaires peuvent être envisagées en fonction du tribunal compétent :

– L’assignation à jour fixe devant le Tribunal judiciaire [6];

– L’assignation à bref délai devant le Tribunal de commerce [7].

Ces procédures sont plus rapides que la procédure classique en ce qu’elles dispensent de la mise en état.

Le demandeur doit se faire autoriser à recourir à ce type de procédure exceptionnelle par le président du Tribunal en lui présentant :

– Une requête établissant que la situation est suffisamment urgente pour recourir à cette voie accélérée ;

– Le projet d’assignation.

Le président rend ensuite une Ordonnance qui autorise ou non la délivrance d’une assignation à jour fixe ou à bref délai et fixe la date de l’audience.

Dès qu’il reçoit l’Ordonnance, le demandeur doit assigner le défendeur et saisir le tribunal compétent.

Une procédure particulière est prévue devant le tribunal de commerce en matière d’affaires maritimes et aériennes : l’assignation peut être donnée, même d’heure à heure, sans autorisation du président, lorsqu’il existe des parties non domiciliées ou s’il s’agit de matières urgentes et provisoires.

Le Juge s’assurera que la partie assignée a eu le temps de préparer sa défense lors de l’audience et pourra prononcer, s’il l’estime nécessaire au contradictoire, un renvoi à une audience ultérieure.

Ces outils procéduraux, qu’ils visent à obtenir des décisions provisoires ou définitives, ont l’avantage de répondre à l’urgence dictée par la crise sanitaire et ses conséquences.

Le Covid-19 ayant impacté inégalement l’activité des juridictions françaises, il conviendra d’adapter au cas par cas les possibilités offertes au demandeur en fonction du tribunal saisi.

Jacques Bouyssou, Associé et Karadeg Coeffic, Avocat.

[1] Ordonnance n° 2020- 306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période
https://www.alerionavocats.com/covid-19-prorogation-delais-echus-periode-urgence-sanitaire/

[2] Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 : https://www.alerionavocats.com/covid-19-contrats-temps-suspendu-equite-prix-complexite/

[3] Article 485 du Code de procédure civile : « Si, néanmoins, le cas requiert célérité, le juge des référés peut permettre d’assigner, à heure indiquée, même les jours fériés ou chômés. »

[4] Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

[5] Article 486 du Code de procédure civile.

[6]Article 840 du Code de procédure civile : « Dans les litiges relevant de la procédure écrite ordinaire, le président du tribunal peut, en cas d’urgence, autoriser le demandeur, sur sa requête, à assigner le défendeur à jour fixe. Il désigne, s’il y a lieu, la chambre à laquelle l’affaire est distribuée. »

[7] Article 858 du Code de procédure civile : « En cas d’urgence, les délais de comparution et de remise de l’assignation peuvent être réduits par autorisation du président du tribunal ».