Conséquence indirecte du confinement ou nouvelle forme de harcèlement moral, le bore-out fait irruption dans les salles d’audience
Jacques Perotto et Anne-Sophie Houbart
CA Paris, 2 juin 2020, n°18/05421
La cour d’appel de Paris, dans la lignée de la jurisprudence relative aux mises à l’écart de salariés, a qualifié de harcèlement moral la situation du salarié à qui on avait retiré des tâches sans son accord, lequel invoquait l’existence d’un « bore-out ».
La « mise au placard » est depuis longtemps sanctionnée par les juges…
Mis à l’écart depuis 2010, le salarié ne se voyait plus confier de tâches correspondant à ses fonctions ou à sa qualification. Il n’était affecté qu’à des travaux subalternes « relevant de fonctions d’homme à tout faire ou de concierge privé au service des dirigeants de l’entreprise ».
Cette mise à l’écart caractérise une dégradation des conditions de travail du salarié avec des répercussions sur sa santé : l’intéressé est ainsi victime d’une crise d’épilepsie au volant de sa voiture qui sera suivie d’une dépression sévère.
Licencié en 2014 pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif, il conteste le motif de son licenciement en invoquant une situation de « bore-out ».
Cette notion, attribuée à deux consultants suisses, Philippe Rothlin et Peter R. Werder, se définit comme une souffrance psychologique durable imputable au manque de travail à l’ennui et à l’absence de satisfaction dans le cadre professionnel.
… mais la plupart du temps en revenant à la notion de harcèlement moral
Si la cour d’appel de Paris n’a pas entendu reprendre spécifiquement le terme de « bore-out » invoqué par le demandeur dans ses conclusions, celle-ci a en revanche considéré que les causes et manifestations du « bore-out » étaient des éléments de nature à caractériser un harcèlement moral.
Pour ce faire, la cour a retenu les diverses attestations produites ainsi que les données médicales versées au dossier permettant d’établir un lien entre les conditions de travail du salarié, la dégradation de sa situation de santé et à de rares exceptions, un « bore-out ».
La notion de « bore-out » a été utilisée à plusieurs reprises devant des juridictions d’appel, notamment devant la cour d’appel de Lyon qui avait retenu l’existence d’un harcèlement moral dans le cas d’un salarié qui contestait le licenciement pour inaptitude dont il avait fait l’objet à la suite, toujours selon le salarié, d’un « bore-out » (CA Lyon, 21 décembre 2018, n°17/01392).
La Chambre criminelle de la Cour de cassation a également retenu des comportements caractéristiques du concept de « bore-out », notamment l’absence de travail, l’isolement des personnels ou encore l’attribution de missions dévalorisantes (Crim., 26 janvier 2016, n°14-80.455).
Le « bore-out » a-t-il un futur ?
Si le bore-out ne constitue qu’une nouvelle terminologie pour caractériser mises à l’écart, manœuvres d’isolement ou attribution de missions dévalorisantes, la définition que l’on connait du harcèlement moral ne devrait pas en être chamboulée.
Si en revanche, les juges entendaient élargir cette définition à des situations économiques ou sociologiques dégradées dans l’entreprise telles que l’absence d’accompagnement et de soutien adaptés de la part des ressources humaines à certains salariés, ou encore les formations insuffisantes, la réduction substantielle de l’activité de collaborateurs liée au contexte économique ou à tout autre évènement indépendant de la volonté telle qu’une crise sanitaire, une étape serait alors franchie quant aux conditions d’appréciation de l’obligation mise à la charge de l’employeur de fournir du travail à ses collaborateurs.
Jacques Perotto, Associé et Anne-Sophie Houbart, Juriste en Droit social.