Nouvelle sanction pour l’Etat pour non-respect des valeurs limites fixées à l’annexe XI de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant les concentrations de l’air en particules fines et en dioxyde d’azote : 3ème astreinte.

Statuant sur un recours présenté par l’association les Amis de la Terre, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 12 juillet 20217 n°12-072017, avait considéré que « Les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé refusant de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote en deçà des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette directive sont annulées » et avait ainsi enjoint  « au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de la présente décision, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 ».


L’Etat n’ayant pas répondu à l’injonction du Conseil d’Etat, ce dernier a, par arrêt du 10 juillet 2020, prononcé une astreinte à l’encontre de l’Etat « s’il ne justifie pas avoir, dans les six mois suivant la notification de la présente décision, exécuté la décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017, pour chacune des zones énumérées au point 11 des motifs de la présente décision, et jusqu’à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 10 millions d’euros par semestre, à compter de l’expiration du délai de six mois suivant la notification de la présente décision ».

Par arrêt du 4 août 2021, le Conseil d’Etat a constaté qu’en dépit des mesures prises par le gouvernement pour améliorer la qualité de l’air dans plusieurs zones de France, celles-ci demeurent insuffisantes. Le Conseil d’Etat a donc décidé de liquider l’astreinte de 10 M€ prononcée contre l’Etat, au titre du premier semestre de l’année 2021 et de la répartir entre l’association requérante, les Amis de la Terre, à l’instance initiale et d’autres organismes à but non lucratif.

L’astreinte a été liquidée par le Conseil d’Etat une seconde fois par un arrêt du 17 octobre 2022 à la somme de 20 millions d’euros pour les deux semestres de la période du 12 juillet 2021 au 12 juillet 2022.Par un arrêt du 24 novembre 2023 n°428409 A, le Conseil d’État a constaté qu’il n’y avait plus de dépassement du seuil de pollution pour les particules fines dans aucune zone urbaine et que les seuils de dioxyde d’azote étaient désormais respectés dans les zones urbaines de Toulouse et Aix-Marseille, mais restent dépassés de manière significative dans celles de Paris et Lyon, où les mesures déjà prises ou à venir ne permettront pas de descendre en dessous des seuils limites dans les délais les plus courts possibles. Compte tenu de la persistance de la pollution dans ces deux zones mais également des améliorations constatées, le Conseil d’État a condamné l’État au paiement de deux astreintes de 5 millions d’euros pour les deux semestres allant de juillet 2022 à juillet 2023, en divisant par deux le montant de l’astreinte prononcée par semestre compte tenu des efforts réalisés par l’Etat.

Le Conseil d’Etat réexaminera en 2024 les actions menées par l’Etat sur la période juillet 2023-janvier 2024

Entrée en vigueur de la directive sur le reporting de durabilité CSRD

L’Union européenne a adopté la directive sur le reporting des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Reporting Directive – CSRD) afin d’établir une nouvelle référence en matière de reporting non financier[1]. La France est devenue le premier État membre de l’UE à transposer la CSRD en droit national par l’ordonnance n° 2023-1142, publiée le 6 décembre 2023.

La CSRD constitue une avancée importante par rapport à la précédente directive, la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), qui avait été adaptée en France pour devenir la directive de performance extra-financière (DPEF).

La CSRD vise à améliorer la transparence et la cohérence du reporting en matière de durabilité dans l’UE en élargissant l’obligation à un plus grand nombre d’entreprises. Ces mesures devraient permettre de mieux comprendre l’impact d’une entreprise sur la société et l’environnement.

La mise en œuvre de la CSRD sera progressive à partir du 1er janvier 2024. L’obligation de reporting concernera d’abord les entreprises qui relèvent déjà de la NFRD, avant d’être applicable à un plus grand nombre d’entreprises, comme illustré ci-dessous :

  • Pour les comptes au titre de l’exercice de 2024, seront concernées les grandes entreprises de l’UE déjà soumises à la NFRD, répondant aux critères suivants : >500 salariés ou >40 millions d’euros de chiffre d’affaires net et/ou >€20M de total de bilan.
  • Pour les comptes au titre de l’exercice de 2025, seront concernées les entreprises qui ne sont pas actuellement soumises au NFRD et qui remplissent au moins deux des critères suivants : >250 salariés, >€40M de chiffre d’affaires net et >€20M de total de bilan.
  • Pour les comptes au titre de l’exercice de 2026 avec possibilité de reporter de deux ans, seront concernées les petites et moyennes entreprises cotées en bourse, à l’exception des microentreprises qui sont des entreprises avec <€700K de chiffre d’affaires net, <€250K de total de bilan et 10 salariés au cours de l’exercice.
  • Pour les comptes au titre de l’exercice de 2028, seront concernées les entreprises non européennes ayant une grande filiale établie dans l’UE ou une filiale PME cotée en bourse ayant >€150M de chiffre d’affaires net pour chacun des deux derniers exercices consécutifs ; ou ayant une succursale ayant >€40M de chiffre d’affaires net.

Le champ d’application de l’obligation d’information

L’article L. 232-6-3 du Code de commerce oblige les entreprises à publier des informations permettant de comprendre leur impact en matière de durabilité, ce qui inclut des considérations environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise.

Ces dispositions vont au-delà de la précédente déclaration française de performance extra-financière (DPEF). Pour adhérer au principe de la « double matérialité » énoncé dans la CSRD, les entreprises doivent garantir la fiabilité, la comparabilité et l’accessibilité des informations relatives à leur durabilité. Cela implique de prendre en compte à la fois l’impact sur l’économie, l’environnement ou la société et les répercussions financières significatives sur le développement, la performance et la position de l’entreprise.

Pour répondre à ces exigences, l’ordonnance et le décret[2] fournissent une description détaillée des informations sur la durabilité qui entrent dans le champ d’application de l’obligation de reporting :

  • Modèle commercial et stratégie : Évaluation de la résilience de l’entreprise aux risques liés à la durabilité, identification des opportunités découlant de considérations liées à la durabilité, et divulgation des plans, mesures prises ou envisagées, et projets financiers et d’investissement associés pour aligner l’entreprise sur les objectifs de l’économie durable.
  • Les parties prenantes : Explication de la manière dont le modèle commercial et la stratégie intègrent les intérêts des parties prenantes, et présentation de l’approche de l’entreprise dans la mise en œuvre de sa stratégie concernant les questions de durabilité.
  • Objectifs de durabilité assortis d’échéances : Définition claire des objectifs et des progrès accomplis pour les atteindre, y compris les objectifs de réduction des émissions pour 2030 et 2050.
  • Gouvernance d’entreprise et politique générale : Description du rôle des organes de direction s’agissant des enjeux de durabilité ; présentation des compétences et de l’expertise des membres du conseil d’administration en matière de durabilité ; description des politiques de l’entreprise en matière de durabilité.
  • Diligence raisonnable et impacts négatifs concernant les questions de durabilité : identification et atténuation des impacts négatifs potentiels ou réels sur les opérations et la chaîne de valeur de l’entreprise. Toutefois, les entreprises peuvent omettre dans leurs rapports, au cours des trois premières années, les données relatives à leurs chaînes de valeur.
  • Gestion des risques : Identification et gestion des risques associés à la durabilité et des éventuelles dépendances.

A retenir

Le CSRD marque une attente plus forte vis-à-vis des entreprises qui se traduit par une évolution significative des informations à divulguer, ainsi que du nombre d’entreprises tenues de partager (et donc de collecter) leurs données relatives au climat. Selon les seuils adoptés, environ 50 000 entreprises en Europe devront divulguer des informations sur le climat, contre environ 12 000 actuellement.


[1] Directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022 (directive CSRD), publiée au Journal officiel de l’UE le 16 décembre 2022 applicable à partir du 1er janvier 2024.

[2] Décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023 pris en l’application de l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés

Responsabilité des parties vis-à-vis des tiers : la Chambre commerciale surprend !

Cour de cassation, Chambre commerciale, 3 juillet 2024, pourvoi n° 21-14.947

Par un arrêt du 3 juillet 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation innove et encadre la responsabilité qu’encourent les parties à un contrat envers les tiers qui subissent un préjudice du fait de leur inexécution contractuelle.

Les faits

Une société productrice de machines (Aetna Group SPA) avait organisé l’acheminement de plusieurs de ses équipements d’Italie jusqu’en France. À ces fins, une autre société du même groupe (Aetna Group France) avait conclu un contrat avec un prestataire (Clamageran) pour la manutention et le déchargement des machines à l’issue de leur transport. L’une des machines avait été endommagée par un employé de la société prestataire.

L’assureur de la productrice des machines, victime du dommage, a indemnisé celle-ci du dommage subi. Subrogé dans ses droits, il a ensuite assigné l’auteur du dommage en paiement de dommages et intérêts, initialement sur le fondement de la responsabilité contractuelle. L’auteur du dommage a opposé à l’assureur les clauses limitatives de responsabilité du contrat qui l’unissait à la société Aetna Group France qui avait arrangé le déchargement.

La procédure & la décision

La cour d’appel de Paris, relevant l’absence de lien contractuel entre la victime (Aetna Group SPA) et l’auteur du dommage (lié par contrat à Aetna Group France, société distincte de la victime), a retenu la responsabilité délictuelle de l’auteur du dommage envers la victime, ce dont elle a déduit que les clauses limitatives de responsabilité du contrat conclu avec la société française ne pouvaient s’appliquer.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient censurer cet arrêt en décidant que « le tiers à un contrat qui invoque contre une partie, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel lui ayant causé un dommage, peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité applicables entre les contractants ». 

Réaffirmation du principe : responsabilité délictuelle du contractant dont l’inexécution contractuelle cause un préjudice à un tiers

Dans un célèbre arrêt Boot shop rendu en Assemblée plénière le 6 octobre 2006, la Cour de cassation avait décidé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255).

Le principe avait été confirmé par la même Assemblée plénière dans un arrêt du 13 janvier 2020, Bois rouge, où elle affirmait que « [l]e manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage » (Ass. plén. 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963). La Haute Juridiction précisait alors qu’il s’agissait de « faciliter l’indemnisation du tiers à un contrat qui, justifiant avoir été lésé en raison de l’inexécution d’obligations purement contractuelles, ne pouvait caractériser la méconnaissance d’une obligation générale de prudence et diligence, ni du devoir général de ne pas nuire à autrui ». Dès lors, « le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement ».

Ces principes sont repris par la Chambre commerciale dans l’arrêt commenté. Il n’est pas nécessaire pour le tiers de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte du manquement contractuel, mais uniquement d’établir un lien de causalité entre ce manquement et le préjudice qu’il subit. Cependant, la Cour innove sur les conséquences d’un tel choix.

Innovation : opposabilité au tiers des clauses limitatives de responsabilité du contrat

Les arrêts Boot shop et Bois rouge avaient suscité de fortes critiques. Leur était reprochée leur sévérité envers le contractant dont l’inexécution se trouvait sanctionnée non seulement vis-à-vis de son seul cocontractant, mais vis-à-vis de tout tiers et ce sans que ce dernier ait à prouver une faute délictuelle distincte. De surcroît, s’agissant de responsabilité extracontractuelle, il s’en déduisait que les limites posées par le contrat entre les parties ne trouveraient pas à s’appliquer vis-à-vis du tiers.

Une partie de la doctrine soulignaitqu’en favorisant l’action des victimes, cette jurisprudence plaçaitle tiers au contrat dans une position plus avantageuse que le cocontractant, déjouant les prévisions des parties : le tiers bénéficiait en effet du contrat sans se voir opposer les obligations et limites stipulées dans ce dernier. Le débiteur pouvait ainsi se trouver davantage redevable envers les tiers qu’envers son créancier.

Dans l’arrêt commenté, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient répondre à ces critiques en opposant au tiers, lorsqu’il invoque contre une partie un manquement contractuel qui lui a causé un dommage, « les conditions et limites de la responsabilité applicables entre les contractants ». 

Un nouvel équilibre

La Cour de cassation affiche clairement son objectif, à savoir le renforcement de la sécurité juridique pour les contractants : l’arrêt précise qu’il s’agit de « ne pas déjouer les prévisions des parties ».

Faut-il alors s’émouvoir que l’on puisse ainsi limiter la réparation du dommage causé au tiers alors que le principe, en matière délictuelle, est celui de la réparation intégrale du préjudice ?

Ce serait oublier que le tiers peut toujours obtenir la réparation intégrale de son préjudice s’il parvient à démontrer que le comportement fautif, au-delà du manquement contractuel qu’il constitue, est également une faute délictuelle, c’est-à-dire « la méconnaissance d’une obligation générale de prudence et diligence » ou « du devoir général de ne pas nuire à autrui ». Une telle faute, qui excède le manquement contractuel, nous paraît engager la responsabilité de son auteur dans les conditions traditionnelles de la responsabilité délictuelle, sans se heurter aux limites prévues dans le contrat entre les parties.

En revanche, lorsque c’est le manquement contractuel qui est invoqué par le tiers victime, alors toutes les stipulations qui assortissent l’obligation contractuelle méconnue par le débiteur seront opposables au tiers.

L’arrêt commenté s’inscrit dans le mouvement de l’Avant-projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017, dont le projet d’article 1234 prévoit : « Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs mentionnés à la section 2 du chapitre II du présent sous-titre.

Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat et ne disposant d’aucune autre action en réparation pour le préjudice subi du fait de sa mauvaise exécution, peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. »

Reste à savoir si les autres chambres de la Cour de cassation rejoindront la Chambre commerciale sur cette voie.

Loi « attractivité » du 13 juin 2024 : Consécration législative de la chambre commerciale internationale à la cour d’appel de Paris (CCIP-CA)

La loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France, publiée au Journal officiel le 14 juin 2024, a pour objectif de renforcer l’attractivité de la place financière de Paris et d’améliorer les conditions économiques, juridiques et fiscales pour les entreprises opérant en France, avec une attention particulière portée à leur compétitivité sur la scène internationale.

Parmi les dispositifs introduits par cette nouvelle législation, l’article 25 insère un nouvel article L. 311-16-1 dans le Code de l’organisation judiciaire, consacrant les compétences spéciales de la cour d’appel de Paris (section 5 du chapitre Ier du titre Ier du livre III), comme suit :

Article L. 311-16-1 : La cour d’appel de Paris, qui comprend une chambre commerciale internationale, connaît :

1° Des recours en annulation des sentences rendues en matière d’arbitrage international, dans les cas et les conditions prévus par le code de procédure civile ;

2° Des recours contre une décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d’exequatur d’une sentence rendue en matière d’arbitrage international, dans les cas et les conditions prévus par le même code.

Cette disposition qui octroie à la cour d’appel de Paris une compétence exclusive pour connaître des recours contre les sentences d’arbitrage international, leur reconnaissance ou leur exequatur, retiendra l’attention de tous les praticiens de l’arbitrage. Son incidence sur l’article 1519 du code de procédure civile, qui à ce jour dispose que les recours en annulation doivent être portés devant la cour d’appel du ressort où la sentence a été rendue, devra être prise en compte par le pouvoir règlementaire.

Ce n’est toutefois pas ce point sur lequel nous attirons l’attention du lecteur. L’article précité vient, pour la première fois, institutionnaliser l’existence de la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris (CCIP-CA).

La CCIP-CA était jusqu’alors instituée à droit constant au sein de la cour d’appel de Paris, tout comme la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris (CCIP-TC), sans texte législatif ou règlementaire dédié, leurs spécificités étant définies par les Protocoles de procédure signés le 7 février 2018 par les présidents des juridictions concernées et le Barreau de Paris.

L’absence de cadre législatif ou règlementaire consacrant ces formations a pu être soulignée comme un frein à leur visibilité et à leur développement, aucune d’elle ne possédant le statut de juridiction autonome. Lorsque les Protocoles évoquent la « compétence » de ces chambres, ils désignent en réalité l’affectation des dossiers par simple mesure d’administration judiciaire au sein du tribunal de commerce ou de la cour d’appel de Paris qui sont les véritables juridictions saisies de l’affaire (V. la préface de la Première Présidente de la Cour de cassation, Chantal Arens, ainsi que les contributions du Président de la CCIP-CA François Ancel et de Maître Alban Caillemer du Ferrage au colloque du 14 juin 2019 consacré aux chambres commerciales internationales, dont les actes sont publiés à la RLDA 2019/152, suppl., n° 6819 et 6920).

Le constat dressé depuis lors est celui d’une connaissance encore limitée, par les acteurs du commerce international, de la CCIP-CA qui n’a pas encore eu, à notre connaissance, l’occasion d’être saisie par application d’une clause attributive de juridiction la visant expressément. Ses dossiers lui sont essentiellement attribués par le double jeu des règles de compétence internationale et de la répartition des affaires au sein de la cour d’appel, qui résulte d’une décision d’administration judiciaire échappant au contrôle des parties.

L’inscription dans la loi de la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris – en attendant une consécration similaire de sa pendante au sein du tribunal de commerce de Paris – marque donc un pas décisif vers la pérennisation des chambres commerciales internationales, renforçant leur visibilité sur la scène internationale dans le domaine du contentieux des affaires. Nul doute qu’elle contribuera de manière significative à renforcer la sécurité juridique et l’efficacité des clauses attributives de juridiction désignant ces chambres internationales dans les contrats de commerce international.

Shrinkflation : L’arrêté enfin publié

Les négociations commerciales 2024 ont été source d’intenses discussions. Parmi les sujets qui les ont phagocytées : la shrinkflation, cette pratique commerciale des industriels, pas au goût des distributeurs. Elle a été vivement critiquée, au point que le gouvernement a finalement publié un arrêté[1] pour l’encadrer, comme nous l’anticipions dans un précédent article[2]. L’application du texte va susciter de nouveaux conflits…

La shrinkflation, encore nommée réduflation, consiste en la réduction (masquée) de la quantité d’un produit, alors que son prix est maintenu ou augmenté. La traduction de cette pratique vis-à-vis du consommateur est relativement simple : celui-ci va payer un même produit à un prix plus élevé. Il ne faut pas s’y méprendre : cette pratique n’enfreint aucunement la loi. En effet, la quantité du produit et son prix étant à la vue du consommateur, celui-ci n’est guère trompé. De plus, l’industriel reste maître de son packaging. Autrement dit, la shrinkflation ne résulte que de la stratégie commerciale.

Cette pratique a été dénoncée durant les négociations commerciales par les grands distributeurs et par le gouvernement lui-même dans une vaste campagne de communication, tant dans les médias que dans les magasins eux-mêmes. Ces pratiques ont notamment donné lieu à des déréférencements notoires ainsi qu’à des actions en dénigrement intentées par les fournisseurs, parfois à juste titre, comme nous l’évoquions dans plusieurs articles[3].

Il ne faut toutefois pas s’y tromper :

  • D’une part, cette pratique est loin d’être novatrice. Un exemple remontant à 1988 témoigne d’un paquet de café passé de 450 à 396 grammes pour un prix équivalent[4]. En France, le magazine 60 millions avait déjà dressé, en 2008 et en 2011, des listes de produits aux poids diminués, débutant l’article par une formule qui, elle, ne trompe pas : « Comment augmenter le prix au kilo, sans que cela se voie sur l’étiquette ? C’est simple, il n’y a qu’à modifier le poids du produit ! »[5].
  • D’autre part, et contrairement à ce qui peut parfois être dit, les industriels ne sont pas les seuls concernés, loin de là. Depuis quelques temps déjà, les grands distributeurs produisent et vendent leurs propres « marque distributeur » (MDD). Rappelons qu’une MDD est tout «  produit dont les caractéristiques ont été définies par l’entreprise ou le groupe d’entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu »[6]. On les connaît sous les noms de ECO+ chez Leclerc, ou encore Top Budget chez Intermarché, Bien vu chez Système U ou la marque Carrefour pour l’enseigne éponyme (et tant d’autres…). En d’autres termes, pour ces produits, le grand distributeur décide… Du poids et du prix de vente. Eux non plus n’échappent pas à la pratique de shrinkflation.

Cette situation tendue, persistante malgré la fin des négociations commerciales 2024[7], a conduit le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et la ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation à adopter, après avis de la Commission européenne, un arrêté ministériel le 16 avril 2024[8]. L’entrée en vigueur du dispositif est fixée au 1er juillet 2024.

Cet arrêté fait peser sur les distributeurs l’obligation d’informer le consommateur par la mention suivante : « Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y et son prix au (unité de mesure concernée) a augmenté de …% ou …€. ».

L’information devra être apposée, de façon lisible, à proximité ou sur les emballages des produits concernés :

  • dans les magasins physiques dont la surface de vente est supérieure à 400 m² ;
  • à prépondérance alimentaire (toutefois, cette précision du préambule de l’arrêté, ne figure pas dans le corps de l’arrêté) ;
  • opérant dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation tels que définis à l’article L. 441-4 du code de commerce.

L’information concerne :

  • les produits de grande consommation préemballés à quantité nominale constante (sont donc exclus les denrées vendues en vrac, ainsi que les produits dont la qualité varie à la préparation) ;
  • les produits dont la quantité a été réduite et où le prix a augmenté lorsqu’il est rapporté à l’unité de mesure ;
  • les produits de marque nationale[9] et les marques distributeurs.

L’arrêté étant pris en application de l’article L. 112-1 du code de la consommation, un distributeur qui n’exécuterait pas cette obligation encourt une amende administrative maximum de 3 000 euros pour une personne physique, et 5 000 euros pour une personne morale, ainsi que des injonctions prononcées par la DGCCRF et des mesures de publicité à ses frais[10], sans qu’on ne sache toutefois si le manquement doit s’apprécier à l’égard de chaque produit, de chaque référence ou encore du simple rayonnage.

Cette solution devrait toutefois être provisoire, puisqu’une prochaine révision des règles européennes quant à l’information du consommateur sur les denrées alimentaires en Europe doit intervenir en 2025. L’occasion, peut-être, d’ériger une législation unifiée englobant cette problématique.

Deux questions se posent encore :

  • A la lecture à l’arrêté, seuls les « magasins physiques » sont concernés. Est-ce à dire que le e-commerce est épargné, alors même que plus d’un tiers des français réalisent leurs achats alimentaires en ligne ?[11] A priori oui, les drives et le e-commerce sont exclus du dispositif, sans que cela ne soit réellement expliqué.
  • Parmi la multitude de références de produits, le distributeur risque de ne pouvoir identifier celles relevant d’une shrinkflation. Au titre de la bonne foi, le fournisseur serait-il contraint de lui transmettre cette information pour lui permettre de la répercuter ? En l’état, l’arrêté ne prévoit pas de mécanismes spécifiques de transmission de l’information.

Si la shrinkflation reste une pratique légale que le gouvernement n’entend pas interdire, une réelle défiance la concerne toujours. Désormais, le consommateur sera mieux informé, par le biais des distributeurs. Cette solution, si elle n’a pas le mérite de l’équité, reste la plus pragmatique et répond parfaitement à l’enjeu principal de ce débat : servir au mieux le consommateur. Cela passe par le choix de la transparence.

Catherine Robin, avocat associé, Lucas Desmaris, élève-avocat, Département Distribution, Concurrence du cabinet Alerion, Société d’Avocats.


[1] Arrêté du 16 avril 2024 relatif à l’information des consommateurs sur le prix des produits dont la quantité a diminué : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049502248

[2] « Dénigrement sur fond de négociations commerciales », https://www.alerionavocats.com/denigrement-sur-fond-de-negociations-commerciales/

[3] « Négociations commerciales : que penser des déréférencements et actions en dénigrement », https://www.lsa-conso.fr/negociations-commerciales-dereferencement-et-action-en-denigrement,454065 – supra « Dénigrement sur fond de négociations commerciales »

[4] John T. Gourville et Jonathan J. Koehler, « Downisizing price inseases : a greater sentivity to price than quantity in consumer markets », Social Science Research Network, 2004.

[5] https://www.60millions-mag.com/2008/09/23/ce-n-est-pas-plus-cher-mais-il-y-en-moins-7493

[6] Article R. 412-17 du code de la consommation

[7] En fonction du seuil de chiffre d’affaires : loi n°2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation

[8] JO du 4/05/2024

[9] Sans pour autant que le texte ne les définisse. Il faut donc se rapprocher des définitions communément admises par les usages en matière de commerce de distribution.

[10] Articles L. 131-5 et L. 521-1/2 du code de la consommation

[11] https://www.lsa-conso.fr/tous-les-chiffres-de-l-e-commerce-alimentaire-qui-marque-le-pas-debut-2023,438066

Mur de traceur ou cookie wall : où en est-on ?

Les implications de l’avis du CEPD du 17 avril 2024 sur les pay walls

Dans le duel opposant le Groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp…) à la réglementation sur la protection des données personnelles, un nouveau coup de boutoir a été porté à la stratégie mise en place par les filiales du groupe pour maintenir leur modèle économique de publicité comportementale. Le Comité Européen sur la Protection des Données (CEPD), sans viser spécifiquement Meta, s’est en effet prononcé[1] sur la conformité au RGPD du choix offert aux utilisateurs de grandes plateformes en ligne entre « consentir [aux traitements de leurs données personnelles aux fins de publicité comportementale] ou payer ».

Ce faisant, et bien que cet avis ne soit pas contraignant, le CEPD pourrait remettre en cause le modèle adopté par un grand nombre d’acteurs du numérique par le biais de cookie walls.

  • La construction de l’avis du CEPD

Cet avis cherche à pallier, sur demandes de trois autorités nationales de protection des données personnelles, les conséquences directes de la décision rendue par la CJUE le 4 juillet 2023[2] qui enjoignait à Meta de fonder les traitements de données personnelles nécessaires à la publicité personnalisée sur le consentement (art. 6.1.a. du RGPD) de l’utilisateur et non sur son propre intérêt légitime (point f du même article). Pour mémoire, en 2022, le CEPD avait déjà dû rappeler à Meta que la signature des CGU par l’utilisateur, et de ce fait l’exécution du contrat (point b du même article) par la plateforme, ne pouvait pas être une base légale acceptable au traitement de données qu’elle réalisait[3]. La CJUE a ainsi précisé que les utilisateurs devaient se voir proposer une « alternative équivalente » des services offerts par l’opérateur sans traitement de données, « le cas échéant contre une rémunération appropriée », pour que le consentement soit valable.

À l’inverse, le CEPD semble considérer ici qu’« un choix binaire entre le paiement d’une redevance et le consentement au traitement à des fins de publicité comportementale » ne saurait satisfaire pleinement à la logique de recherche d’un consentement « libre, informé, non-ambiguë et spécifique » voulu par le RGPD.

S’adressant aux grandes plateformes en ligne au sens des « plateformes » encadrées par le DSA[4] (article 3 i.[5]) et des « contrôleurs d’accès » listés sur le fondement du DMA[6] (article 3 1.), le CEPD précise qu’il leur incombe d’offrir un véritable choix à leurs utilisateurs, choix factice lorsque certaines circonstances s’avèrent être liberticides (cf. infra).

Le CEPD semble ainsi chercher à revenir à ses principes fondateurs qu’il rappelait déjà dans son avis consultatif[7] quant à la Directive de 2019[8] sur les contrats de fourniture de contenus et de services numériques qui consacrait la possibilité d’user des données personnelles comme contreparties à ces contrats : « les droits fondamentaux, comme le droit à la protection des données à caractère personnel, ne peuvent être réduits aux seuls intérêts des consommateurs, et les données à caractère personnel ne peuvent être considérées comme une simple marchandise ».

  • L’élaboration d’une évaluation au cas par cas des modèles « Consent or Pay » des grandes plateformes
  •  

Sans chercher à proscrire expressément le modèle « Consent or Pay », le CEPD dresse en réalité une liste d’éléments dont les grandes plateformes en ligne devraient tenir compte pour évaluer la conformité au RGPD de leur stratégie d’obtention de consentement aux fins de publicité comportementale :

  • « la personne concernée subit un préjudice du fait qu’elle n’a pas donné son consentement ou qu’elle l’a retiré (…) ;
  • il existe un déséquilibre des pouvoirs entre la personne concernée et lesdites plateformes (…) ;
  • le consentement est nécessaire pour accéder à des biens ou à des services, même si le traitement fondé sur le consentement n’est pas nécessaire à l’exécution du contrat applicable à l’offre de ces biens ou services (…) ;
  • les frais imposés sont de nature à empêcher les personnes concernées de faire un véritable choix ou à les inciter à donner leur consentement (…) ;
  • les personnes concernées sont libres de choisir la finalité du traitement qu’elles acceptent, plutôt que d’être confrontées à une demande de consentement regroupant plusieurs finalités (granularité) ».

En tout état de cause, bien que le comité précise que l’évaluation d’une telle conformité devrait se faire au cas par cas, il semble privilégier la piste d’une troisième alternative permettant à l’utilisateur d’échapper au traitement de données aux fins de publicité comportementale sans contrepartie financière tout en bénéficiant du même service.

Les potentielles répercussions de l’avis sur les modèles de financement des acteurs de la communication en ligne

  • Cet avis s’inscrit directement en France dans le débat récurrent autour des murs de traceurs ou cookie walls mis en en place sous la forme de pay walls par de nombreuses plateformes et éditeurs en ligne[9], approuvés par la CNIL dans ses critères d’évaluation de 2022. La CNIL, qui avait cherché dans un premier temps à interdire les murs de traceurs en 2019, s’était vue contrainte par une décision du Conseil d’État[10] à les autoriser, sous réserve toutefois de pouvoir constater « l’existence d’alternatives réelles et satisfaisantes » dans le cas où le refus des traceurs bloquerait l’accès au service[11]. Plus encore, dans le cas d’un acteur dominant ou incontournable, l’utilisateur en ligne devait pouvoir accéder malgré tout au service grâce au paiement d’une contrepartie monétaire raisonnable.    

Or, les prochaines lignes directrices du CEPD laisseront vraisemblablement le champ libre aux autorités nationales pour étendre le périmètre de son avis du 17 avril à d’autres acteurs, en sus d’y inclure l’ensemble des plateformes en ligne. La CNIL pourrait ainsi s’inspirer du raisonnement du CEPD en tant que nouvelle grille de lecture dans ses décisions à l’encontre des plateformes et éditeurs en ligne pour évaluer avec davantage de sévérité leurs pay walls, revenant ainsi sensiblement à sa position première d’interdiction de principe tempérée par une appréciation – restreinte – au cas par cas. À charge pour les acteurs concernés de contester l’une de ses décisions devant le Conseil d’Etat pour amener les juges français à adresser une question préjudicielle à la CJUE en la matière.

Actuellement, il est clair que la situation inconfortable pourrait en particulier inciter les éditeurs en ligne à proposer une troisième alternative non contractuelle, non payante et non assortie de publicité comportementale au sein de leur cookie walls. Le bouleversement des modèles économiques de ces éditeurs pourrait consister au retour de la publicité contextuelle[12] qui, si elle entre également dans la publicité ciblée, se distingue largement de la publicité comportementale en ce qu’elle n’est pas intrusive lorsqu’elle ne conduit ni au stockage ni à l’accès aux données du terminal de l’utilisateur (sans traçage) conformément à la Directive ePrivacy et aux lignes directrices du CEPD afférentes[13].

Toutefois, cette technique renferme nettement moins de valeur économique pour les annonceurs publicitaires que la publicité comportementale et suppose donc une fracture nette dans l’équilibre budgétaire des acteurs concernés, dont la position sur le marché est sans commune mesure avec elle occupée par les très grandes plateformes. Ce constat peut être inquiétant une fois transposé au modèle des médias en ligne qui repose aujourd’hui essentiellement sur celui des pay walls offrant une alternative entre consentement au traitement de données personnelles aux fins de publicité comportementale ou paiement d’une contrepartie (relativement dérisoire mais existante). Les risques encourus par les médias quant à leur indépendance auraient tôt fait de se répercuter sur le pluralisme de l’information.

Cette critique peut être liée plus généralement à celle de la légitimité de la CNIL voire du CEPD à se prononcer et à trancher sur la question des modèles de financement des plateformes en ligne qui, si elle doit nécessairement faire l’objet d’une appréciation à l’aune du RGPD, suppose d’être soumise à une analyse économique approfondie et de l’état de la concurrence (détermination du marché pertinent, intérêt des consommateurs…). Selon une première étude menée par le cabinet TERA Consultants qui demande à être confortée, le préjudice de l’insécurité juridique régnant autour des pay walls serait ainsi aujourd’hui évalué entre 60 et 355 millions d’euros pour le PIB français[14].

Les équipes du Cabinet Alerion Avocats se tiennent à vos côtés pour relever les défis qu’implique le récent positionnement du CEPD quant à la conformité au RGPD des modèles de financement fondés sur la publicité comportementale en l’absence d’alternative équivalente gratuite au traitement des données.

Par Corinne Thiérache, Avocat Associée, et Romane Cussinet, Élève-Avocate des départements Propriété intellectuelle, Droit des technologies et du Numérique et Protection des données personnelles du Cabinet Alerion Avocats.


[1] Opinion 08/2024 on valid consent in the context of consent or pay models implemented by large online platforms.

[2] CJUE, 4 juillet 2023, Meta Platforms Inc. v Bundeskartellamt, C-252/21.

[3] CEPD, Décisions contraignantes « Facebook », « Instagram » et « WhatsApp » du 5 décembre 2022

[4] Le Digital Services Act vise à encadrer la mise en ligne de contenus et de produits illicites et à protéger les utilisateurs. Il est entré en application le 25 août 2023 pour les très grandes plateformes et le 17 février 2024 pour toutes les plateformes numériques.

[5] Plateforme en ligne : « service d’hébergement qui, à la demande d’un destinataire du service, stocke et diffuse au public des informations (…) ».

[6] Le Digital Market Act ou Règlement sur les marchés numériques vise à encadre le comportement des « contrôleurs d’accès » du numérique. Il est entré en totale application le 6 mars 2024.

[7] JO C 200 du 23.6.2017, p. 10.

[8] Directive (UE) 2019/770 du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques.

[9] « Personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne » – article 6 III.1. de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

[10] CE, 19 juin 2020, DC n°43684.

[11] Délibération n° 2020-091 du 17 septembre 2020 portant adoption de lignes directrices relatives à l’application de l’article 82 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée aux opérations de lecture et écriture dans le terminal d’un utilisateur (notamment aux « cookies et autres traceurs ») et abrogeant la délibération n° 2019-093 du 4 juillet 2019.

[12] La publicité contextuelle est une technique publicitaire qui vise à diffuser sur un support (web, télévision) des publicités choisies en fonction du contexte dans lequel le contenu publicitaire est inséré.

[13] Article 5 §3 de la Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques encore dite ePrivacy)

Lignes directrices du CEPD 2/2023 sur le périmètre technique de l’article 5 (3) de la Directive ePrivacy adoptées le 14 novembre 2023

[14] TERA Consultants, Impact du RGPD : cas des lignes directrices de la CNIL sur les murs de traceurs – Note économique, étude commandée par le cabinet SAMMAN, Mars 2024 Réf. 2022-35.

La Loi SREN : de la confiance à la sécurité

La loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique promulguée le 21 mai 2024[1] rappelle, par certains aspects, la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet du 24 juin 2020, aussi dite loi Avia. À la différence de cette dernière, la loi SREN – pourtant controversée – couvre un périmètre bien plus large et est susceptible, en ce sens, d’intéresser tant particuliers que professionnels œuvrant dans le secteur du numérique.

Pour rappel, épinglés par un avis circonstancié de la Commission européenne fin octobre 2023[2], les parlementaires ont été contraints de réécrire minutieusement le texte, notamment en prenant garde à ne pas se placer en contradiction avec le Règlement sur les services numériques ou « DSA »[3] ni avec son objectif d’harmonisation du marché numérique européen. La loi SREN intervient ainsi dans des domaines couverts tant par le DSA que par le « DMA »[4] ou encore le « DGA »[5].

Cette loi a également fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel le 17 mai[6] censurant cinq de ses articles dont quatre « cavaliers législatifs » à la suite d’une double saisine parlementaire des 17 et 19 avril derniers.

Il est donc intéressant de se pencher sur les dispositions finalement retenues par le Parlement lors de l’adoption du texte le 10 avril 2024, pour certaines censurées ensuite, qui visent deux objectifs principaux : d’abord, à l’instar de la loi Avia précitée, d’assainir l’espace numérique ; puis, face à l’émergence de nouveaux modes de commercialisation en ligne, encadrer ces pratiques de manière suffisamment souple et large.

Des dispositions visant à assainir l’espace numérique

La loi SREN a pour objectif ambitieux de contenir les pratiques dangereuses – tant pour ceux qui en sont à l’origine que pour autrui – qui ont émergé avec le numérique et qui ont souvent été encouragées par ce dernier. Il s’agit de canaliser un « niveau de violence inacceptable » pour un espace désormais « plus fréquenté que l’espace public par les citoyens », selon les mots du rapporteur à l’Assemblée nationale Paul Midy[7].

À cette fin, plusieurs dispositions viennent directement toucher les acteurs prenant part à la diffusion de contenus sur internet (éditeur, hébergeur, fournisseur d’accès…). Première mesure phare de la loi, est prévu un encadrement plus strict de la diffusion de contenus pornographiques en ligne : les éditeurs de site publiant de tels contenus devront désormais mettre en place des mesures concrètes permettant de s’assurer de l’âge des visiteurs, d’après un référentiel élaboré par l’ARCOM[8]. Cette autorité, si elle venait à constater le non-respect de ce référentiel, serait à même de prononcer une sanction pécuniaire à l’encontre de l’éditeur voire de demander le blocage ou le déréférencement du site selon une procédure jugée conforme par le Conseil constitutionnel, c’est-à-dire après l’envoi d’observations restées sans réponse suivi d’une mise en demeure. Les producteurs de contenus pornographiques simulant une agression sexuelle, un viol ou encore de la pédopornographie devront également afficher, préalablement mais également tout au long de la diffusion desdits contenus, un message d’avertissement rappelant l’illégalité des actes représentés. Les pouvoirs étendus accordés à l’ARCOM lui permettront par ailleurs de lutter contre la diffusion de contenus présentant des actes de torture ou de barbarie en ordonnant leur retrait, leur blocage ou leur déréférencement. Enfin, la loi SREN arme l’ARCOM dans sa lutte contre la désinformation en lui permettant d’enjoindre aux opérateurs de mettre fin à la diffusion sur internet d’un média étranger soumis à des sanctions européennes sous peine de bloquer le site ou de prononcer à leur encontre une amende pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires ou 250 000 euros.

La loi SREN concerne également de près les particuliers en marquant, notamment, l’inscription de l’intelligence artificielle dans le Code pénal. La loi encadre ainsi sous le même régime que celui des montages non-consentis publiés la pratique visant à diffuser des contenus générés par traitement algorithmique reproduisant « l’image ou les paroles » d’une personne sans son consentement, pénalisant ainsi les deepfakes[9] à hauteur d’un an emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Plus encore, l’auteur d’une telle infraction encourra désormais une peine de deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende lorsque le deepfake a un caractère sexuel. Toutefois, la volonté des parlementaires d’inscrire un nouveau délit d’outrage en ligne dans le Code pénalsanctionnant la diffusion en ligne de« tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » n’a pas, sans surprise, pu être retenue en l’état. Le Conseil constitutionnel a en effet censuré la disposition concernée à l’aune de la liberté d’expression et de communication, estimant qu’elle était susceptible d’entrer dans le champ d’autres délits couverts par loi de 1881 (diffamation et injure) ou par le Code pénal (violences, harcèlement, atteinte à la vie privée…) et que son incrimination ne comportait, à défaut d’éléments matériels tangibles, qu’une caractérisation subjective soumise à la seule appréciation de la potentielle victime. Enfin, si les parlementaires ont renoncé à la levée de l’anonymat sur internet, une nouvelle peine complémentaire de suspension des réseaux sociaux, allant de 6 mois à un an en cas de récidive, est prévue, notamment en matière de cyberharcèlement, haine en ligne, pédopornographie, proxénétisme et autres infractions graves. La loi SREN confirme ainsi le changement de paradigme faisant des fournisseurs de plateformes, acteurs privés, les relais malheureusement nécessaires pour une véritable effectivité dans la lutte contre les comportements répréhensibles en ligne.

Des dispositions aux contours larges encadrant de nouvelles pratiques numériques commerciales

Un certain nombre de dispositions de la loi SREN ont pour objectif de réguler les pratiques commerciales liées au numérique. Sont notamment touchés par celles-ci (i) de nouveaux responsables de traitement de données, (ii) les fournisseurs de place de marchés (marketplaces), (iii) les fournisseurs de jeux à objets numériques monétisables et (iv) les éditeurs de services au public en ligne. L’ARCOM jouera par ailleurs un rôle significatif dans la régulation de ces pratiques en tant qu’autorité « coordinatrice des services numériques » par le contrôle du respect du DSA par les services numériques au niveau national, la surveillance des très grandes plateformes en ligne et moteurs de recherche et la coordination des autorités nationales entre elles (CNIL, DGCCRF…).

  • La loi SREN prévoit que soit considéré comme un traitement au sens du RGPD le suivi, par un responsable de traitement ou un sous-traitant établi hors l’UE, du comportement de personnes résidant sur le territoire français, notamment par le rapprochement de données personnelles collectées avec des données disponibles en ligne. Le législateur répond ainsi directement à la délibération de la CNIL concernant la société « LUSHA SYSTEMS INC. »[10] ; la CNIL ayant prononcé un non-lieu concernant la société qui permettait pourtant à ses utilisateurs d’obtenir toutes les coordonnées professionnelles des personnes dont ils visitaient le profil sur le réseau LinkedIn ou la plateforme Salesforce.com.
  • La loi SREN met en place une sanction pénale à hauteur de 2 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (voire 6% du chiffres d’affaires mondial, proportionnellement aux avantages tirés du délit) prononçable à l’encontre des fournisseurs de place de marché qui ne respecteraient pas les obligations prévues par le DSA (sur la conception, l’organisation et l’exploitation de leur interface, la traçabilité des professionnels utilisant la plateforme ou encore l’information prévue pour les consommateurs). Cette sanction peut être assortie d’une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une profession commerciale ou industrielle pendant 5 ans maximum pour les personnes physiques. La DGCCRF sera également à même d’obtenir des juridictions qu’elles contraignent les plateformes à se mettre en conformité par une astreinte journalière (inférieure à 5% du chiffres d’affaires mondial).Par ailleurs, en application du DMA, le texte encadre les tentatives d’escroquerie en ligne et d’accès frauduleux aux coordonnées personnelles et bancaires en contraignant les navigateurs à afficher un message d’alerte aux utilisateurs lorsque ces derniers s’apprêtent à être redirigés vers un site malveillant après un SMS ou courriel frauduleux.
  • La loi SREN établit également un cadre pour les Jonum ou jeux à objets numériques monétisables, jeux situés entre les jeux vidéo et les jeux d’argent fondés sur la blockchain et les NFTs (déclaration à l’Autorité nationale des jeux, vérification de l’âge des joueurs, prévention de l’addiction, conservation des données relatives aux joueurs afin d’identifier les fraudes, lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme…).
  • Enfin, la loi SREN entérine une disposition passée plutôt inaperçue lors des débats mais d’importance quant à la transparence liée aux traitements de données à caractère personnel. L’article 48 de la loi SREN modifie en effet la liste des mentions obligatoires imposée par la LCEN du 21 juin 2004, en ajoutant l’obligation, pour les éditeurs de services (sites web, applications…), d’indiquer dans les mentions légales le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse des personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, le stockage de données traitées directement par elles dans le cadre de l’édition du service. En d’autres termes, cela signifie que dans l’hypothèse où le site vitrine d’un service est hébergé en théorie dans l’UE, par exemple chez OVHcloud ou Clever Cloud, mais que l’application de ce service nécessite de transférer des données vers des serveurs Azure, AWS ou Google Cloud, il est désormais obligatoire de le préciser dans les mentions légales. Cette disposition a le mérite de rendre plus visible une information habituellement renseignée dans la longue liste de sous-traitants annexée à une Politique de Confidentialité ou un Accord de sous-traitance (lorsque cette liste existe effectivement). Point intéressant : cette disposition concerne également les éventuels transferts de données non personnelles, qui ne faisaient pas l’objet d’une telle exigence de transparence jusque-là.

Les avocats des Départements Droit des technologies et du Numérique et Protection des données personnelles du Cabinet Alerion Avocats se tiennent à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller au mieux pour intégrer ce nouveau cadre législatif dans vos activités et profiter des opportunités qu’il engendre, sans attendre les décrets d’application retardant l’entrée en vigueur de certaines de ses modalités.


[1] LOI n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique

[2] C(2023) 7417 final du 25 octobre 2023 émettant un avis circonstancié au titre de l’article 6, paragraphe 2, de la directive (UE) 2015/1535.

[3] Le Digital Services Act vise à encadrer la mise en ligne de contenus et de produits illicites et à protéger les utilisateurs. Il est entré en application le 25 août 2023 pour les très grandes plateformes et le 17 février 2024 pour toutes les plateformes numériques.

[4] Le Digital Market Act ou Règlement sur les marchés numériques vise à encadre le comportement des « contrôleurs d’accès » du numérique. Il est entré en totale application le 6 mars 2024.

[5] Le Data Governance Act ou Règlement sur la gouvernance des données, à articuler avec le RGPD, incite les entreprises européennes à valoriser économiquement les données dont elles font l’usage, sous le contrôle des citoyens européens. Il est entré en vigueur le 24 septembre 2023.

[6] Décision n° 2024-866 DC du 17 mai 2024.

[7] Paul MIDY, Louise MOREL, Anne LE HÉNANFF, Mireille CLAPOT, Denis MASSÉGLIA (rapporteurs et députés) ainsi que Patrick CHAIZE et Loïc HERVÉ (rapporteurs et sénateurs), Rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique.

[8] Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique : fusion du CSA et de l’Hadopi.

[9] Le deepfake est une technique de synthèse mono- ou multimédia reposant sur l’intelligence artificielle permettant notamment de superposer ou de fusionner des images, des fichiers vidéo ou audio existants sur d’autres fichiers (montage) mais également de créer artificiellement des contenus ressemblants à des situations réelles à partir de commandes textuelles.

[10] Délibération de la formation restreinte n°SAN-2022-024 du 20 décembre 2022 concernant la société LUSHA SYSTEMS INC.

Egalim 4 : Encore une réforme du droit de la négociation commerciale en France.

Une nouvelle réforme de la loi dite « Egalim » est annoncée d’ici la fin 2024, en écho à la crise agricole. Mais c’est quoi au juste, Egalim ?

  1. Le contexte législatif : un foisonnement législatif

La législation française en matière de négociation commerciale est un cas unique. Depuis 1986, des dizaines de textes législatifs modifient le dispositif, avec une obligation de signature d’une « convention unique écrite » entre le fournisseur et le distributeur, « au plus tard au 1er mars » [1]. Ce principe est accompagné de diverses autres obligations : contenu obligatoire, communication des conditions générales de vente, calendrier strict de la négociation commerciale…

Les lois dites « EGalim » ont ajouté un principe de juste rémunération des agriculteurs : trois lois se sont succédé en cinq ans, suivies de décrets d’application et d’une loi d’urgence en vue de l’inflation pour l’année 2024[2].

La loi EGalim 1 avait pour objectif de « payer le juste prix aux producteurs » en créant un principe de construction du prix par proposition des agriculteurs, le prix devant prendre en compte les coûts de production selon des indicateurs de référence élaborés par les organisations interprofessionnelles. En cas de variations du coût des matières premières et de l’énergie, les prix sont renégociés. Les opérations promotionnelles sont encadrées et le seuil de revente à perte des denrées alimentaires est relevé de 10% pour permettre un rééquilibrage des marges en faveur des agriculteurs et des petites entreprises.

Le dispositif a été renforcé par la loi EGalim 2 : pour protéger les agriculteurs, elle impose la contractualisation écrite de leurs relations avec leur premier acheteur. La part de matières première agricole dans le prix des produits alimentaires est devenue non négociable et, dans les conditions de vente, elle doit apparait clairement, selon les trois options prévues par la loi. En plus de la clause de révision automatique, une clause de renégociation du prix en fonction des matières premières en cas de prix fixe, a été ajoutée.

Enfin, la loi Descrozaille dite « Egalim 3 », complétée par la loi relative à la situation d’urgence d’inflation en France, est venue renforcer l’arsenal juridique déjà bien lourd en la matière[3]. Pour combattre la pratique des centrales internationales d’achat des grands distributeurs, depuis le 1er avril 2023, cette loi[4] soumet impérativement au droit français et aux tribunaux français, les relations entre le fournisseur et le distributeur lorsque les produits ou services sont commercialisés sur le territoire français.

De plus, cette loi est venue corriger un flou juridique de l’issue de la négociation commerciale. En cas d’échec de la négociation entre le fournisseur et le distributeur à l’échéance du 1er mars, la loi prévoit l’alternative suivante :

  • le fournisseur peut mettre fin à la relation commerciale avec le distributeur concerné, sans préavis et sans que celui-ci puisse invoquer une rupture brutale ; ou
  • le fournisseur peut mettre fin à la relation commerciale selon un préavis suffisant et les  « conditions économiques du marché sur lequel opèrent les deux parties ». Un médiateur peut être saisi pour aider à trouver un accord sur les conditions de ce préavis avant le 1er avril. Si aucun accord est trouvé, le fournisseur peut mettre fin à la relation, sans que le distributeur puisse lui reprocher une rupture brutale.

Toutefois, malgré cette superposition de lois, les différents objectifs ne sont pas atteints, en témoigne la crise des agriculteurs ayant touché la France au début de l’année 2024. De plus, le ministre de l’Economie a relevé que 12 % des accords contrôlés n’avaient pas été signés à la date butoir lors des négociations 2024. Le gouvernement a dès lors lancé des travaux pour améliorer la situation.

  • Egalim 4 : la solution à des problématiques insolubles ?

Rien d’officiel dans l’appellation « Egalim 4 ». Il s’agit du nom de la mission parlementaire dont l’objectif est d’envisager une réforme « légère »[5] du Titre IV du Livre IV du Code de commerce.

Cette transition législative pourra s’appuyer sur le rapport d’information relatif à la loi Descrozaille, rendu le 20 mars 2024. Plusieurs problématiques dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs ont été soulevées.

L’objectif premier de cette nouvelle loi reste de renforcer la capacité à négocier des producteurs. Pour ce faire, le président de la République a évoqué l’instauration de « prix planchers » ayant pour objectif d’assurer un minimum de revenus aux agriculteurs. Certains évoquent encore des réunions triparties lors des négociations commerciales, entre producteurs, fournisseurs et distributeurs. De même, la contractualisation et la prise en compte des coûts de production des agriculteurs pourraient être réformées en ce sens.

Deuxièmement, la loi a vocation à fluidifier la négociation commerciale, analysée comme étant de plus en plus difficile dans un contexte économique tendu entre distributeurs et fournisseurs. Certaines voix s’élèvent pour supprimer le délai butoir au 1er mars, voire pour ériger un nouveau régime à deux vitesses selon la taille des fournisseurs, comme cela a été le cas pour les négociations 2024[6].

Enfin, le nouveau dispositif doit s’assurer que le droit français est appliqué strictement. En effet, le recours aux centrales d’achat internationales trahit une volonté d’échapper au droit français. Si le dispositif législatif prévoit déjà l’applicabilité du droit français, ce sont les sanctions et leur application qui doivent être corrigées. De plus, les grossistes sont exclus du dispositif de la loi EGalim. Cette situation doit être prise en compte pour éviter que des distributeurs n’usent de cette porte de sortie pour se dérober au régime légal.

En définitive, la loi « EGalim 4 » qui s’annonce doit venir améliorer les mesures issues de la loi « EGalim 2 », sans réformer en profondeur le droit de la négociation commerciale en France. Ce n’est pas tant le dispositif qui fait débat, mais bien son application.  

Catherine Robin, avocat associé, Lucas Desmaris, élève-avocat, Alerion, Département Distribution, concurrence .


[1] Loi n°2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs & Loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

[2] Loi  n° 2018-938 du 30 octobre 2018 ; Loi  n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 ; Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 ; Loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023

[3] Pour un panorama exhaustif : https://www.alerionavocats.com/relations-fournisseurs-distributeurs-les-negociations-commerciales-a-laune-de-la-derniere-reforme-ce-qui-va-changer/

[4] Par exemple, Leclerc s’est associé à Rewe, coopérative allemande, pour créer la centrale EURELEC, installée à Bruxelles ; Système U, Edeka (distributeur allemand) et Jumbo (distributeur hollandais) forment la centrale Everest ; Carrefour est à l’origine, en Espagne, de la centrale Eureca pour l’ensemble de ses filiales européennes, etc…

[5] Les députés chargés de la mission ayant en effet expliqué que « l’idée n’est pas de réinventer tout, mais de rendre les textes plus solides. Le dispositif EGalim, tel qu’il a été pensé, répond aux attentes, mais il y a des choses à améliorer dans son application ».

[6] La loi n°2023-1041 du 17 novembre 2023 avance la date butoir des conventions annuelles au 15 janvier 2024 pour les fournisseurs au CA H.T. annuel inférieur à 350 millions et au 31 janvier pour les autres. Cette loi, répondant à l’urgence inflationniste, n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour les négociations 2024.

Recommandations de la CNIL sur le développement des systèmes d’intelligence artificielle : que faut-il en retenir ?

Aucun acteur de l’IA ou du numérique n’a pu passer à côté de cette information. La CNIL, autorité de protection des données qui s’est également saisie des questions d’intelligence artificielle, a publié le 8 avril dernier ses premières fiches de recommandations relatives au développement des systèmes d’IA. La CNIL a choisi de développer 7 thèmes, que sont :

  • La détermination du régime juridique applicable
  • La détermination de la finalité
  • La qualification des fournisseurs d’IA
  • La définition d’une base légale, notamment en cas de réutilisation des données
  • La méthode pour réaliser une analyse d’impact
  • L’intégration du RGPD dès la conception du projet d’IA
  • La prise en compte du RGPD tout au long de la constitution des jeux de données d’entraînement

Pour rappel, la CNIL a créé en janvier 2023, un service dédié à l’intelligence artificielle qui a notamment pour mission de préparer l’entrée en vigueur du règlement européen sur l’IA voté par les eurodéputés le 13 mars 2024 et qui doit encore attendre le vote en mai par le Conseil de l’Union européenne. Les fiches pratiques font suite à une consultation publique lancée par la CNIL en octobre 2023, à laquelle plus de 40 acteurs, issus de secteurs variés, ont répondu.

Avec cette publication, la Commission prend en compte les spécificités techniques de l’intelligence artificielle quant aux différentes étapes de la construction et de la mise en œuvre d’un système d’IA.

Le périmètre de ces recommandations ne couvre pas toutes les étapes de la mise en place d’un système d’IA mais uniquement sa phase de développement, qui consiste à concevoir, développer et entraîner un système d’IA. Pour autant, cela n’exclut pas nécessairement l’applicabilité des recommandations à la phase de déploiement du système d’IA. En effet, plusieurs de ces fiches permettent de s’interroger de manière pertinente sur la gestion des données à caractère personnel dans la phase de déploiement, qui permet, en tout état de cause, de collecter de nouveaux jeux de données impliquant parfois un retour en phase de développement.

Alors que la diffusion exponentielle dans notre société des outils intégrant de l’IA nécessite de la part des entreprises souhaitant développer ce type de technologie que celles-ci mettent en place une réelle politique de gestion relative à la protection des données personnelles qu’elles collectent et exploitent dans l’outil intégrant de l’IA, il ne fait aucun doute que la publication par la CNIL de ces fiches pratiques constitue un outil d’accompagnement efficace au profit des organisations devant se conformer à la règlementation en matière de protection des données personnelles tout en développant des outils innovants tels que l’IA.

Notre équipe Propriété intellectuelle et Droit des technologies et du numérique, dirigée par Corinne Thiérache, se tient à votre disposition pour vous conseiller sur ces sujets éminemment techniques mais également juridiques induisant des obligations mais aussi des droits à préserver et défendre, en vous proposant un accompagnement adapté en fonction de vos secteurs d’activité.

Clap de fin pour le régime britannique de la « remittance basis »

Le Chancelier de l’Echiquier britannique, Jeremy Hunt (membre du Parti conservateur en fonction depuis le 14 octobre 2022), a récemment annoncé la fin du régime de la « remittance basis » à compter du 6 avril 2025, véritable serpent de mer outre-manche.

Cette suppression aura nécessairement un impact négatif sur la taxation des personnes physiques « non-domiciled residents » au Royaume-Uni (i.e. les contribuables qui sont résidents au Royaume-Uni sans y être domiciliés ; le « domicile » est un concept différend de la « residence » au sens de la loi britannique). 

Le régime de la « Remittance basis » sera remplacé par un régime plus simple dénommé « Four-Year Foreign Income and Gains » (FIG) qui aura toutefois pour inconvénient d’accroitre potentiellement l’imposition des personnes physiques qui résident au Royaume-Uni depuis plusieurs années.

  • Actuellement, une personne physique relevant de la qualification de « non-domiciled » qui opte pour le régime de la « remittance basis » est imposée au Royaume-Uni sur ses revenus de source britannique et sur ses revenus de source non britannique uniquement s’ils y sont rapatriés (« remitted »).

L’option pour le régime de la « remittance basis » est très avantageuse pendant les six premières années d’application.

En revanche, lorsque le « non-domiciled resident » a été résident au Royaume-Uni pendant sept des neuf années fiscales précédentes, il doit payer une taxe de 30 000 £ pour le maintien du bénéfice de la « remittance basis’ ». Puis, la taxe est de 60 000 £ après une période de résidence 12 ans au cours des 14 années précédentes. Enfin après avoir résidé au Royaume-Uni pendant 15 des 20 années fiscales précédentes, en qualité de « deemed domiciled », il ne sera plus possible d’opter pour le régime de la « remittance basis ».

  • Le projet de modification annoncé par le gouvernement britannique tend vers une simplification des règles actuelles.

Les contribuables seront éligibles au nouveau régime FIG dès lors qu’ils n’étaient pas résidents fiscaux du Royaume-Uni au-cours des dix années précédentes.

Ainsi, à compter du 6 avril 2025, les contribuables éligibles qui choisissent d’être imposés selon le nouveau régime FIG ne seront imposables au Royaume-Uni que sur leurs revenus d’origine britannique. Ils ne seront pas imposables sur leurs revenus de source étrangère (hors Royaume-Uni), peu importe qu’ils soient ou non transférés au Royaume-Uni.

Au-delà des quatre premières années de résidence fiscale au Royaume-Uni, les contribuables seront imposables sur l’ensemble de leurs revenus de sources britannique et étrangère (principe de mondialité).

Les nouvelles règles proposées devraient entrer en vigueur le 6 avril 2025. Pour l’année fiscale 2024/2025, les règles actuelles resteront donc applicables.

  • Les personnes actuellement imposées selon le régime de la « remittance basis » mais non éligibles au nouveau régime FIG (soit en pratique les contribuables résidents du Royaume-Uni depuis plus de 4 ans à la date d’entrée en vigueur de la réforme) bénéficieront pendant un an d’une réduction de l’assiette des revenus de source étrangère soumis à l’impôt britannique. Ainsi, pour l’année fiscale 2025/2026, seulement 50% de leurs revenus de source étrangère seront taxés au Royaume-Uni.

Également, des règles transitoires permettront de réduire l’impôt sur les plus-values pour les personnes qui ont opté pour le régime « remittance basis » et qui ne seront pas domiciliées au Royaume-Uni à la date du 5 avril 2025, en leur offrant la possibilité de choisir, si elles cèdent un actif situé à l’étranger à un moment où elles ne sont pas éligibles au nouveau régime FIG, de réévaluer cet actif à sa valeur au 5 avril 2019.

Enfin, une mesure de facilitation de rapatriement temporaire sera mise en place pour les personnes ayant bénéficié du régime « remittance basis ». Si elles transfèrent au Royaume-Uni en 2025/2026 ou 2026/2027 des revenus étrangers, ceux-ci seront imposés à 12 %.

  • Par ailleurs, dans le cadre de la réforme de la fiscalité en discussion au Royaume-Uni, il convient de relever que :
  • À partir du 6 avril 2025, le régime des « Protected Trust » cessera de s’appliquer, ce qui signifie que les revenus et les plus-values des trusts concernées pourraient devenir imposables en cas de distribution à un résident britannique depuis plus de 4 ans ;
  • Il est également envisagé de modifier l’impôt sur les successions de manière à ce que l’imposition soit déterminée par référence à la résidence plutôt qu’au domicile.
  • En conclusion, l’incertitude est grande, tant en ce qui concerne le champ d’application précis de ces règles que l’éventualité des changements annoncés, si le Parti travailliste britannique remporte les prochaines élections.

Nous accompagnons les personnes physiques qui ont pour projet de s’installer au Royaume-Uni ou qui en reviennent.

Aussi, nous pouvons vous aider à appréhender au mieux l’impact que le projet de réforme pourrait avoir sur vous et vous aider à tirer parti des règles de transitions.