Le bénéfice du statut d’agent commercial n’exige pas le pouvoir de modifier les prix : la cour de justice adopte une position contraire à celle de la cour de cassation
Catherine Robin
La cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé, le 4 juin 2020, que la personne qui vend des marchandises au nom et pour le compte de son mandant ne doit pas nécessairement avoir la faculté de modifier les prix pour bénéficier du statut légal d’agent commercial.
Cette position est contraire à celle de la cour de cassation et de la cour d’appel de Paris qui exigent depuis plusieurs années que l’agent ait disposé de cette faculté et en rapporte la preuve, pour bénéficier du statut protecteur.
Rappelons que le statut d’agent a été harmonisé dans l’Union européenne par une directive en 1986 (directive n° 86/653/CEE du 18/12/1986) intégrée aux articles L 134-1 et suivants du code de commerce qui le définissent comme la personne chargée à titre permanent « de négocier et, éventuellement, conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants (…) ». Ce mode de distribution est particulièrement prisé pour assurer la commercialisation de produits et services au plan national et international. Pendant la durée du contrat, l’agent n’agit pas en son nom et ne développe pas sa propre clientèle mais celle du mandant qui peut ainsi faire connaitre ses marques et développer ses ventes sur un marché national ou étranger selon un mécanisme léger (l’agent est rémunéré par une commission sur les ventes) par l’intermédiaire d’un opérateur qui connait bien le fonctionnement de ce marché. A l’issue du contrat, le mandant conserve la clientèle développée par l’agent, ce qui lui permet notamment de s’installer durablement sur le marché développé par l’agent, par la création d’une filiale locale ou la conclusion d’un contrat avec un distributeur local qui acceptera de prendre le risque de distribuer les produits et services pour son propre compte. De son côté, l’agent commercial perd les fruits de son travail. Le statut d’agent commercial prévu par la directive lui permet d’obtenir à la cessation du contrat, soit une indemnité, soit la réparation du préjudice causé par la cessation de la relation (directive, art. 17). Le droit français a choisi d’indemniser le préjudice causé du fait la cessation du contrat (directive, art. 17.3 ; c. com. ; art. L 134-12) ce qui s’est traduit selon la jurisprudence française, par une indemnisation le plus souvent égale à 2 ans de commissions calculée sur les 3 dernières années du contrat.
Depuis une douzaine d’années et surtout depuis 2014, la cour de cassation, suivie par la cour d’appel de Paris, procède à une interprétation stricte de la directive, en décalage avec les juridictions des autres Etats européens et de certaines autres cours d’appel comme celles de Lyon et Toulouse, et malgré les vives critiques d’une partie de la doctrine. En effet, bien que le mot « négocier » n’ait pas de définition juridique en droit français, elle a jugé de manière constante que l’intermédiaire qui ne dispose pas du pouvoir de modifier les termes du contrat avec le client (prix et conditions de vente), ne dispose pas du pouvoir de « négocier » au nom et pour le compte du mandant comme prévu par la définition de l’agent commercial (Cass. com. 15/01/2008, n°06-14698).
Cette interprétation très restrictive du terme « négocier » a eu des conséquences considérables pour l’agent soumis au droit français. En effet, l’agent qui, à la date de signature du contrat se croyait protégé par le statut légal, s’est trouvé dépourvu de cette protection et privé de l’indemnité lors de la rupture, s’il ne parvenait pas à rapporter la lourde et difficile preuve, non seulement de ses diligences auprès des clients, mais aussi de ses négociations sur le prix et sa faculté de le modifier.
C’est dans ce contexte que le tribunal de commerce de Paris a saisi la CJUE d’une question préjudicielle pour l’inviter à se prononcer sur l’interprétation du mot « négocier » (T. com. Paris, 19/12/2018, n°2017/015204). L’enjeu était important et la décision attendue avec intérêt et impatience par les praticiens du droit de la distribution.
La décision du 4 juin 2020 est claire et prend le contrepied de la position restrictive de la cour de cassation et de la cour d’appel de Paris : une personne qui assure la vente des marchandises pour un donneur d’ordres ne doit pas nécessairement disposer de la faculté d’en modifier les prix, pour être qualifiée d’agent commercial.
La cour de cassation et la cour d’appel de Paris n’ont en principe pas d’autre choix que de revenir sur leur jurisprudence et abandonner la condition du pouvoir de négocier les prix pour accorder la qualification d’agent commercial. Un bras de fer avec la cour de justice n’est cependant pas à exclure.
Aux industriels, producteurs et commerçants qui s’inquiéteraient de cette position, on rappellera que :
– le montant de 2 ans de commissions fréquemment alloué par les juridictions comme indemnité de rupture n’est pas inscrit dans la loi : les circonstances peuvent justifier d’un montant moins élevé ;
– elle est circonscrite à l’activité d’agent commercial et ne peut pas être étendue aux activités d’autres intermédiaires ou prestataires.
En effet, l’agent commercial doit veiller aux intérêts du commettant et agir loyalement et de bonne foi (directive, art. 3). En particulier, l’agent commercial doit « s’employer comme il se doit à la négociation et, le cas échéant, à la conclusion des opérations dont il est chargé ». Si ces opérations ne passent pas nécessairement par la faculté de modifier le prix des marchandises, elles nécessitent néanmoins de sa part des actions d’information et de conseil ainsi que des discussions avec les clients potentiels ou existants, afin de favoriser la conclusion des ventes des marchandises. Ce sont les efforts et les actions en ce sens qui lui confèrent le statut d’agent commercial s’il les déploie de façon permanente, et qui lui permettent d’être rémunéré puisqu’il perçoit une commission sur les ventes qui ont été conclues. Ainsi, l’intermédiaire qui ne visite jamais la clientèle ou le prestataire qui est chargé des seules opérations de publicité sur un territoire ne sauraient prétendre ni au statut d’agent commercial ni à aucune indemnité de rupture.
Catherine Robin, Associée et Ambre Luciak, stagiaire.