La Série Distribution d’Alerion par Catherine Robin et Johanna Guerrero – Agent commercial (épisode 4)
Alerion vous invite à suivre les actualités du droit de la distribution. Pour débuter cette série, focus sur le statut d’agent commercial. Inauguré dès 1958 en France, le statut a suivi l’harmonisation européenne en 1986 et continue d’évoluer sous l’influence de la Cour de justice.
Episode 1 – Pour bénéficier du statut d’agent commercial, nul besoin d’avoir le pouvoir de négocier les prix
Episode 2 – La faculté de déroger au droit à commission de l’agent
Episode 3 – Indemnité de rupture et faute grave de l’agent
Episode 4 – Agent commercial exerçant en dehors de l’UE et droit français
Episode 4
Agent commercial exerçant en dehors de l’UE et droit français
La Cour de cassation affirme pour la première fois le principe d’application du statut d’agent commercial à l’intermédiaire établi et exerçant son activité en dehors de l’Union Européenne, lorsque le contrat est soumis au droit français[1]. Si la Cour avait déjà reconnu implicitement cette possibilité en 2021 pour un intermédiaire exerçant en Russie,[2], elle ne s’était pas prononcée sur le sujet qui n’était alors pas contesté.
Comme évoqué dans les épisodes précédents de la Série Distribution d’Alerion consacrée à l’agent commercial, le statut de l’agent commercial est harmonisé dans l’Union européenne (directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986, C.com. art. L. 134-1 et s.). Rappelons que, à la cessation de la relation, l’agent a droit à une indemnité de fin de contrat. En France, le régime est généreux avec l’agent : sauf circonstances particulières, il a droit à deux années de commissions, calculées sur les trois dernières années.
L’affaire qui fait l’objet de cet arrêt concerne un producteur français qui avait confié la commercialisation de ses vins et spiritueux au Canada, à un agent canadien, et avait choisi de soumettre leur contrat au droit français et aux juridictions françaises. Lors de la cessation de la relation, le producteur avait refusé de verser l’indemnité aux motifs que l’agent ne répondait pas à la définition du statut d’agent commercial, faute de pouvoir négocier les prix, et du fait de la spécificité de l’importation des boissons alcooliques au Canada.
Pendant la procédure, avant que la Cour d’appel ne statue, la Cour de justice européenne avait rendu l’arrêt Trendsetteuse[3], aux termes duquel elle jugeait que, pour bénéficier du statut d’agent commercial, l’intermédiaire n’avait pas à justifier du pouvoir de négocier les prix (cf. Episode 1).
C’est dans ce contexte que la Cour d’appel de Paris a reconnu le bénéfice du statut d’agent commercial à l’agent canadien et que le producteur a été condamné à lui verser une indemnité de rupture égale à deux années de commissions.
Le producteur français a alors formé un pourvoi en cassation en faisant notamment valoir que :
- Le droit français, tel qu’interprété par la juridiction européenne, ne pouvait pas s’appliquer à un agent canadien exerçant son activité en dehors du territoire de l’Union européenne ;
- La relation contractuelle s’était formée, exécutée et terminée avant l’arrêt de la Cour de justice, qui n’avait donc pas lieu de s’appliquer.
Ces arguments sont rejetés par la Cour de cassation qui juge qu’en application de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, les parties ont choisi valablement de soumettre leur contrat au droit français. En conséquence, c’est au regard du droit français, tel qu’issu de la directive de 1986 et interprétée par la jurisprudence européenne, qu’il convient d’apprécier les critères de qualification d’un agent commercial.
La loi française désignée dans le contrat s’applique « quand bien même l’agent commercial était établi et exerçait son activité en dehors du territoire de l’Union européenne ».
A cet égard, il convient de noter que la directive de 1986 ne limite pas son champ d’application au territoire de l’Union européenne. Chaque Etat membre avait la liberté d’étendre ou non la protection du statut d’agent commercial aux intermédiaires exerçant leur mission dans un pays tiers. Le législateur français ayant fait le choix de ne prévoir aucune limitation quant au champ d’application spatial du texte, celui-ci s’applique dans toutes ses dispositions, quels que soient le lieu d’établissement de l’intermédiaire et le territoire sur lequel il exerce sa mission.
La Cour de cassation rappelle également rappelle que « la sécurité juridique ne consacre pas un droit acquis à une jurisprudence figée ». Même si l’intégralité de la relation s’était déroulée avant le revirement opéré par l’arrêt Trendsetteuse, à une époque où la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour d’appel de Paris était plus sévère pour accorder le bénéfice du statut d’agent commercial puisqu’elle exigeait la preuve de son pouvoir de modifier le prix, les parties « ne peuvent se prévaloir, en cas de litige postérieur, de la loi telle qu’interprétée à la date de conclusion du contrat. » Le revirement opéré par l’arrêt Trendsetteuse est applicable, même intervenu une fois la relation terminée.
La Cour rejette donc le pourvoi. L’arrêt d’appel[4] est confirmé en ce qu’il avait reconnu le statut d’agent commercial à l’agent canadien après avoir relevé qu’il exerçait une activité de négociation, propre à ce statut, et l’agent a droit à l’indemnité de fin de contrat, qui, en l’espèce, s’élevait à presque trois millions d’euros.
L’équipe d’Alerion en charge de la Contrats commerciaux-distribution, Catherine Robin et Johanna Guerrero, est à votre disposition pour vous assister dans la rédaction de vos contrats d’agence commerciale et vous accompagner dans le cadre de tout précontentieux et contentieux en lien avec ce type de distribution. Cette affaire a été suivie par Alerion (procédures de première instance et d’appel) et par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre (pourvoi en cassation).
[1] Cass. civ. 1ère 11 janvier 2023, n°21-18.683
[2] Cass. com. 12 mai 2021, n°19-17.042
[3] CJUE 4 juin 2020, aff. C-828/18, Trendsetteuse
[4] CA Paris, 20 mai 2021, n°19/05011