Abandon de poste : la présomption de démission est entrée en vigueur
Jean-Christophe Brun, Florian Lenoir et Anne-Sophie Houbart
Depuis le 19 avril 2023, le salarié qui abandonne volontairement son poste sans reprendre son travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence est présumé avoir démissionné.
Les modalités pratiques de cette réforme, dont l’objectif affiché est de priver les salariés abandonnant leur poste de leur droit aux allocations chômage, ont été précisées par le décret n°2023-275 du 17 avril 2023, publié au journal officiel le 18 avril, ainsi que par un « Questions-Réponses » publié par le Ministère du Travail.
Présomption de démission, mode d’emploi
Désormais, « le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par lettre remise en main-propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai. » (C. trav., art. L.1237-1-1 – C. trav., art. R.1237-13).
Ce délai fixé par l’employeur, et laissé au salarié pour justifier de son absence, ne peut être inférieur à 15 jours calendaires à compter de la présentation de la mise en demeure au salarié.
Pratiquement, l’employeur constatant que le salarié a abandonné son poste, devra, s’il entend se prévaloir de la présomption de démission du salarié, dans un premier temps le mettre en demeure par courrier recommandé avec accusé de réception de justifier de son absence et de reprendre son poste, lequel doit, a minima, (i) indiquer le délai dans lequel le salarié doit reprendre son poste (15 jours minimum), (ii) demander au salarié la raison de son absence, (iii) rappeler que passé le délai susvisé, faute pour le salarié d’avoir repris son poste ou justifié son absence, ce dernier sera présumé démissionnaire et, par conséquent, privé de son droit aux allocations chômage.
Il ne parait pas inutile de rappeler également au salarié qu’en cas de démission, il est en principe redevable d’un préavis à l’égard de son employeur.
A la réception de cette mise en demeure, deux situations sont envisageables :
1- Soit le salarié dispose d’un motif légitime à son abandon de poste : dans ce cas, il doit le communiquer à l’employeur.
A titre d’exemple, sont notamment considérés comme un motif d’absence légitime selon le décret du 17 avril 2023 : des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait, l’exercice du droit de grève, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou encore une modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur…
Dans ces cas, la procédure de présomption de démission ne peut être conduite à son terme et l’employeur devra alors simplement traiter l’absence légitime du salarié.
En dehors de ces hypothèses, il appartiendra à l’employeur d’apprécier si la justification avancée par le salarié est « légitime » et susceptible de justifier de son absence, avant de poursuivre, ou non, la procédure de présomption de démission.
2- Soit le salarié ne dispose pas d’un motif légitime (pour l’employeur) ou ne répond pas à la mise en demeure à la date fixée par l’employeur, il sera alors présumé démissionnaire à l’issue du délai de 15 jours ou plus qui lui aura été accordé.
La fin des licenciements pour abandon de poste ?
Compte tenu des incertitudes entourant encore la procédure de présomption de démission, il s’est rapidement posé la question de savoir si l’employeur conservait la faculté de recourir à la voie du licenciement pour abandon de poste.
Sur ce point, le Questions-Réponses du Ministère du Travail répond par la négative en indiquant clairement que « si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ».
Pour autant ce Questions-Réponses n’a aucune valeur normative, là où la loi et son décret d’application n’excluent pas expressément la faculté pour l’employeur de licencier un salarié pour abandon de poste.
Le décret du 17 avril 2023 précise même que « l’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission (…) », laissant ainsi penser que celui-ci a la possibilité d’opter pour cette nouvelle procédure ou celle du licenciement.
Le Conseil d’Etat est d’ailleurs actuellement saisi de cette contradiction apparente par le biais d’un recours en excès de pouvoir concernant les dispositions mentionnées au sein du Questions-Réponses.
Les entreprises devront donc se montrer particulièrement prudentes face aux situations futures d’abandon de poste et décider, en fonction des circonstances et du contexte entourant cet abandon de poste de la procédure à adopter. S’il convient sans doute de privilégier aujourd’hui la voie de la présomption de démission dans le cas d’un abandon de poste simple, celle du licenciement devra être retenue chaque fois, notamment, qu’il existe d’autres griefs s’ajoutant à celui de l’abandon de poste.
Par ailleurs, et bien que le cas soit relativement rare, une vigilance toute particulière devra également être accordée aux situations dans lesquelles un salarié protégé se trouverait en situation d’abandon de poste compte tenu des enjeux liés à une éventuelle requalification de sa potentielle démission présumée en licenciement prononcé sans autorisation préalable de l’inspection du travail, à savoir la nullité du licenciement et la faculté d’obtenir sa réintégration au sein de l’entreprise, souvent plusieurs années après la rupture du contrat de travail.
Quels recours pour le salarié souhaitant contester sa démission présumée ?
Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de la présomption de démission peut saisir le Conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées.
Il statue (théoriquement…) au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.
Ainsi, la présomption de démission étant une présomption simple, le salarié peut contester son application devant les juridictions prud’homales en faisant valoir qu’il disposait d’un motif légitime pour s’absenter.
Une question se pose alors quant aux conséquences de ce recours sur le plan indemnitaire pour un salarié qui obtiendrait gain de cause.
La présomption de démission renversée devrait produire les effets d’un licenciement injustifié et permettre au salarié de bénéficier des allocations chômage. Pour autant, ce licenciement, non causé, produirait-il les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ?
De la même manière, quelles sanctions seront appliquées en cas, par exemple, de non-respect du délai de 15 jours accordé au salarié pour justifier de son absence ?
La loi et son décret d’application restent muets sur ces questions qui restent entières et auxquelles il appartient désormais aux juges de répondre.
Jean-Christophe Brun, Associé, Florian Lenoir et Anne-Sophie Houbart, Collaborateurs