COVID-19 et contrats : le temps suspendu
Catherine Robin, Frédéric Saffroy, Justine Clerc et Jeanne Quéneudec
La période de confinement bouleversant profondément l’économie, le gouvernement a adopté des mesures d’assouplissement des délais en matières contractuelle et administrative. L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période créé une période « protégée », durant laquelle les délais sont suspendus ou reportés.
La « période juridiquement protégée » en un coup d’œil: du 12 mars 2020 au 24 juin 2020
Les difficultés d’exécution contractuelle
Les contrats contiennent fréquemment des astreintes, des clauses pénales, résolutoires ou de déchéance, qui ont vocation à protéger une partie en cas d’inexécution de ses obligations par l’autre partie dans les délais contractuellement prévus (ex. une livraison, un paiement, une échéance) :
(i) Si ce délai expire pendant la période juridiquement protégée, c’est-à-dire entre le 12 mars et le 24 juin 2020, les clauses sont réputées ne pas avoir produit effet, ni les astreintes commencé à courir.
Ainsi, ces clauses ne produiront leurs effets qu’après un délai d’un mois suivant la fin de la période juridiquement protégée, c’est-à-dire à partir du 25 juillet 2020, à la condition que le débiteur ne se soit pas exécuté entre temps.
Exemple : au titre d’une clause résolutoire, vous avez mis en demeure votre cocontractant de s’exécuter dans un délai de 10 jours à compter du 6 mars 2020. Le délai expire pendant la période juridiquement protégée, soit le 16 mars 2020. Ce délai de 10 jours ne courra à nouveau qu’à partir du 25 juillet 2020, pour expirer le 3 août 2020.
(ii) Si l’application d’une clause pénale – ou le cours d’une astreinte – a pris effet avant le 12 mars 2020, soit avant le début de la période juridiquement protégée, elle est suspendue pendant cette période. Le décompte ne reprendra qu’à compter du 25 juin 2020.
Exemple : Un contrat prévoit une astreinte journalière si le cocontractant n’exécute pas son obligation au plus tard le 27 février 2020. Le créancier met en demeure son cocontractant le 28 février de s’exécuter sous 10 jours. Le 9 mars l’astreinte commence à courir. Toutefois, à compter du 12 mars, celle-ci est suspendue et ne reprendra effet qu’à compter du 25 juin, si le cocontractant ne s’est pas exécuté entre temps.
Il convient donc de vérifier systématiquement :
– Si le délai d’exécution vient à expiration pendant la période juridiquement protégée, ce qui entraine le report de son point de départ un mois après la fin de la période juridiquement protégée (soit le 25 juillet 2020), si le cocontractant ne s’est pas exécuté à cette date.
– Si l’astreinte ou la clause pénale prend effet avant le 12 mars 2020, ce qui entraine sa suspension jusqu’à la fin de la période juridiquement protégée (soit le 25 juin 2020).
Résiliation et dénonciation des contrats
Si la période pendant laquelle un contrat peut être résilié ou le préavis pendant lequel un contrat peut être dénoncé (pour éviter sa tacite reconduction) expire pendant la période juridiquement protégée, ceux-ci sont prolongés de deux mois après la fin de cette période, soit jusqu’au 24 août 2020.
Exemple : Si vous n’avez n’a pas été en mesure de résilier un contrat qui est automatiquement renouvelé chaque 31 mars, sauf dénonciation dans le mois précédant cette « date anniversaire », il sera toujours possible de le résilier jusqu’au 24 août 2020.
Relations avec l’administration
Des suspensions et reports de délais sont également applicables dans les relations avec les administrations de l’Etat, avec les collectivités territoriales, les établissements publics administratifs et les organismes de droit public (ou de droit privé chargés d’une mission de service public administratif), y compris les organismes de sécurité sociale (article 6 de l’ordonnance).
Décision, accord ou avis à intervenir (article 7)
Si le délai à l’issue duquel une décision, un accord ou un avis de l’administration doit/peut intervenir ou est acquis, expire pendant la période juridiquement protégée, ce délai est suspendu jusqu’à la fin de cette période, soit jusqu’au 24 juin 2020.
Si le délai a commencé à courir avant le 12 mars 2020, il est suspendu jusqu’au 24 juin 2020, le décompte reprendra le 25 juin 2020.
Si le délai commence à courir pendant la période protégée, son point de départ est reporté jusqu’à la fin de cette période : il ne commencera à courir qu’à compter du 25 juin 2020.
Exemple : En cas d’investissements étrangers soumis à autorisation préalable du Ministre de l’économie, l’autorisation ne peut être réputée acquise, faute d’une réponse dans un délai de deux mois, si ce délai n’a pas expiré avant le 12 mars 2020. Sinon, le délai est suspendu et ne courra à nouveau qu’à compter du 25 juin 2020.
Vérification du caractère complet d’un dossier, sollicitation de pièces complémentaires pour l’instruction d’une demande, consultation ou participation du public par l’administration (article 7).
Voir le point précédent. Le délai est suspendu ou reporté, selon sa date d’expiration ou de son commencement. Cela s’applique, par exemple, dans le cas d’une enquête administrative.
Il convient également de consulter le site de l’administration concernée pour connaître ses modalités de fonctionnement en cette période (Agence française anticorruption, Autorité de la concurrence, Service des biens doubles usages, etc.).
Réalisation des contrôles et des travaux par l’entreprise ou mise en conformité de l’entreprise à des prescriptions (article 8)
La règle est toujours la même :
– Si le délai imposé par l’administration n’a pas expiré avant le 12 mars 2020 (sauf lorsque le délai résulte d’une décision de justice), le délai est suspendu jusqu’à la fin de la période juridiquement protégée (soit le 24 juin 2020).
– Si le délai devait commencer à courir pendant la période juridiquement protégée, son point de départ est reporté jusqu’à la fin de cette période.
Exemple : En cas d’injonction de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de se mettre en conformité avec la règlementation adressée le 12 mars 2020, le délai de mise en conformité ne courra qu’à compter du 25 juin 2020.
Pour les catégories d’actes, de procédures et d’obligations pour lesquels, pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de préservation de l’environnement et de protection de l’enfance et de la jeunesse, il n’est pas opportun de suspendre les délais, des décrets viennent préciser les règles applicables (article 9).
Exemples : les exploitants d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), d’ouvrages hydrauliques (digues, barrages), d’installations minières, de canalisations de transport de matières dangereuses, etc. (Décret n° 2020-383 du 1er avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d’urgence sanitaire liée à l’épidémie de covid-19)
Les équipes Droit commercial et Conformité & Affaires règlementaires d’Alerion sont à votre disposition pour vous assister dans l’analyse de votre situation :
Catherine Robin, Frédéric Saffroy, Associés, Justine Clerc et Jeanne Quéneudec, Collaboratrices.